Publié aux éditions Arléa en 1983, (sur l’image à gauche, édition de 2013, 118 pages. En couverture, Portrait de Sanyutei Encho, 1930, ©Kaburaki Kiokata).
Sen Shoshitsu est le nom traditionnel porté par la série de maîtres de thé de la famille Urasenke. Connu également sous le nom de Hanso Soshitsu, il est né en 1923 et est le quinzième descendant de la lignée de grands maîtres japonais. Il nous raconte comment il fut préparé dès l’enfance par son père à maîtriser les aspects formels et spirituels du thé. Il fut ensuite initié aux principes du Zen Rinzai et entra en prêtrise. De ce “pénible enseignement*, il garda de son maître les deux principes suivants : « Comme la pierre d’encre qui, aussi longtemps qu’on la frotte, jamais ne s’use » et « Pose des questions. Cherche ensuite la réponse. »
La voie du thé
Il nous montre que la cérémonie du thé n’est pas qu’un ensemble de gestes mais une attitude et une discipline menant à la sérénité, sérénité qui ne peut être atteinte que dans le partage.
Soshitsu Sen pratiquant la cérémonie du thé
Le simple geste de servir le thé et de l’accepter avec reconnaissance constitue le fondement d’une manière de vivre, appelée chado, la Voie du thé. Servir un bol de thé conformément aux règles de l’étiquette, c’est réaliser une large synthèse culturelle aux idéaux élevés impliquant divers éléments relevant de la religion, de la morale, de l’esthétique, de la philosophie, de la dicipline et des relations sociales. Celui qui étudie la cérémonie du thé apprend à disposer les objets, à comprendre le rythme et les pauses, à apprécier l’élégance des gestes et à appliquer cet enseignement à la vie quotidienne. Tout cela apparaît dans le simple fait de servir et de recevoir un bol de thé, et n’est accompli que dans un seul but : atteindre la sérénité de l’âme, en communion avec ses semblables dans notre monde.
Les quatres principes
L’esprit de la Voie du thé tel qu’il a été pleinement dévoloppé par Sen Riuku (1522-1591), a été identifié aux quatre principes fondamentaux d’harmonie, de respect, de pureté et de sérénité.
L’harmonie naît de la rencontre de l’hôte et de l’invité, de ce qui est servi et des ustenciles utilisés au rythme de la nature. Elle reflète à la fois l’éphémère dans toutes choses et la stabilité dans le changement. (…) Le principe d’harmonie signifie que l’on se libère de toute prétention, en suivant le chemin de la modération, en refusant de s’échauffer ou de devenir indifférent, et en n’oubliant jamais de garder une attitude humble. Le respect est la sincérité de coeur qui nous permet d’avoir l’esprit ouvert à l’environnement immédiat, aux êtres humains qui nous entourent et à la nature, tout en reconnaissant la dignité innée de chacun. (…) Ce principe nous incite à poser un regard pénétrant sur le cœur de ceux que nous rencontrons et sur l’essence des choses qui nous entourent. C’est alors que nous nous rendons compte du lien étroit qui nous unit au monde dans lequel nous vivons. L’acte de nettoyer (la pureté) nous permet donc de saisir l’essence pure et sacrée des choses, de l’homme et de la nature. Quand l’hôte nettoie et arrange les places que les invités occuperont, c’est également en lui-même qu’il établit un ordre. Cet ordre est essentiel. En veillant aux détails de la salle de thé et du sentier du jardin, il n’en est pas moins attentif à sa propre conscience et à l’état d’esprit dans lequel il servira chaque invité. La sérénité, concept spécifique au thé, découle de l’observance constante des trois premiers principes d’harmonie que sont l’harmonie, le respect et la pureté dans la vie quotidienne. Assise seule, loin du monde, à l’unisson avec les rythme de la nature, libérée des biens du monde matériel et du confort corporel, purifiée et sensible à l’essence sacrée de tout ce qui l’entoure, une personne qui fait et boit le thé dans un état contemplatif approche un stade sublime de la sérénité. Mais paradoxalement, cette sérénité s’approfondira encore d’avantage quand une autre personne entrera dans le microcosme de la salle de thé et se joindra à l’hôte dans sa contemplation au-dessus d’un bol. C’est en compagnie d’autrui que nous trouverons en nous-même une sérénité durable.
Une façon de vivre
Du maître de thé Sen Rikiu, il retiendra plusieurs règles qu’il développe l’une après l’autre et que je laisse au lecteur le plaisir de découvrir.
« La Voie du thé n’est pas simplement un art ou un but en elle-même, ni un divertissement, mais bien plutôt une façon de vivre riche de valeurs éthiques et morales. »
L’auteur attire l’attention du lecteur sur une notion primordiale de la Voie du thé, il s’agit d’une façon de vivre plus que d’un but en soi. Le mot shado est composé du mot sha qui signifie thé et du mot do qui signifie la Voie (ainsi, par exemple, le sho-do est-il l’art de la calligraphie). Chacun des arts ou disciplines est une manière particulière de suivre la Voie qui, de manière plus générale, est une façon d’être au monde susceptible de conduire à la sérénité. Chaque être humain mettra tout son cœur-esprit-âme dans la rencontre éphèmère qu’est chaque cérémonie du thé.
Quelles voies ?
On peut considérer la Voie du thé comme l’histoire des goûts japonais qui se déclina de manière différente selon les époques, allant de l’exhibition de fastes et de richesses à la plus grande simplicité, pronée par Takeno Jô-ô (1502-1555) et déployée par Sen Riuku.
Cette dernière pratique du thé développe un style nouveau : le wabi, qui développera le sens de la simplicité, de l’ordinarité et même de l’imperfection.
C’est une voie, au sens propre du terme, dont vont dépendre sentier et jardin, ainsi que l’architecture du salon de thé et de son entrée, tout devant mener à l’humilité, à l’égalité des êtres et à la sérénité. La décoration du lieu devant elle être en harmonie avec les saisons. Les objets utilisés doivent être choisis avec soin puisqu’ ils sont “comme un miroir dans lequel se reflète l’âme de l’hôte”. Chaque geste, de même, suit un protocole, et ce toujours en respectant les quatre principes et les sept règles, dans l’humilité et la reconnaissance.
Nous ne nous contentons pas de purifier les ustenciles et notre esprit, mais nous prenons humblement conscience de notre relation avec tout ce qui nous entoure, avec l’univers. Sans cela le service du thé serait réduit à des gestes automatiques et donc vides de sens. Ce cœur purifié, simple et reconnaissant, qui donne son sens au thé, s’acquiert au terme d’un entraînement et d’une discipline qui sont proches de la pratique zen.
Voie spirituelle autant que sentier physique qui relie le monde de l’esprit à celui du coeur et du corps.
Du zen et de la discipline
Le zen est la pratique de la vie quotidienne dans l’union de l’esprit avec la nature et la conscience de ses limites, et de la satisfaction que l’on découvre dans l’incomplétude.
Bien que le terme zen vienne du sanscrit dhyana, qui signifie méditation, le zen lui-même n’est pas une méditation. Il est une pratique, un entraînement très strict. Dans la Voie du thé, si nous ne considérons pas la vie quotidienne comme la discipline même du zen, alors le fait de préparer un bol devient une simple formalité, une suite de gestes dénués de sens.
(…) De tout temps, plutôt que de philosopher sur la vie, les Japonais ont assimilé certains concepts en les appliquant directement aux domaines matériels et spirituels de la vie.
Fûriû est l’un de ces concepts. Si l’on considère les caractères qui constituent ce mot, on trouve fû, qui signifie vent, et riû ,qui signifie couler. Cela suggère que notre esprit doit couler à travers la vie comme le vent coule à travers la nature. S’identifier de cette manière à la nature crée nécessairement un état d’esprit détaché et objectif.
La tâche vitale de ne faire qu’un avec avec la moindre des obligations quotidiennes conduit à l’union de l’esprit avec les saisons et la nature.
A celui qui se languit / Des fleurs du printemps / Montre les jeunes pousses / Qui sortent dans les collines enneigées.
Un autre concept est le terme de wabi que l’on pourrait traduire par simplicité rustique, On ne doit pas confondre cette esthétique avec l’amour de ce qui est rustique. Le wabi est un état d’esprit. Il est mieux exprimé par des termes tels que « frugalité », « simplicité » et « humilité ».
Par humilité, il faut comprendre entre autre la notion de retenue, qualité d’un comportement autant qu’attitude esthétique et critère de beauté. La réserve, la profondeur intérieure, se manifestent par un espace vide dans la peinture, par les légers mouvements des acteurs du théêtre Nô, par le silence entre les sons dans une œuvre musicale, par la brièveté d’un haiku. S’incliner avant que de boire du thé force égalitairement tout le monde à regarder ses pieds et faire preuve d’humilité. Autant d’exemples de cette capacité d’exprimer, avec une extrême brièveté, ce qui a été atteint au terme de la plus rigoureuse des disciplines.
Je choisirai comme conclusion ce qu’écrivit un puissant daimyo au XIX siècle :
Le but premier du thé est au fond l’acceptation de l’insuffisant.
Notes
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Chanoyu : la cérémonie du thé au japon
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Histoire et art du thé en Chine (1)
Histoire et art du thé en Chine (2)
Pour acheter des thés de Chine et de Taiwan à Paris , je conseille La maison des trois thés, à Paris où Maître Tseng officie. Pour plus de renseignements sur elle et cette maison de thé voir sur Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Yu_Hui_Tseng
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