L’école du Rinpa
Durant la Période Edo (1603-1868), deux tendances picturales dominent : le style Kano (à Kyoto) et le style Tosa (à Edo). Avec Kôrin une nouvelle école de peinture naît : l’école du Rinpa. C’est un groupe d’artistes, regroupés d’après leurs orientations et préférences artistiques, contrairement aux artistes des écoles Kano et Tosa qui étaient unis par des liens familiaux. Le nom Rinpa est formé de la syllabe finale du nom de Kôrin : “rin” et de “pa” signifiant “école, faction”.
Ecole du Rinpa
Avec l’école du Rinpa, l’esthétique s’exacerbe dans un style décoratif dominé par des couleurs vives posées sur des fonds de feuilles d’or ou d’argent. Les thèmes sont empruntés à la littérature classique, mais l’aspect anecdotique et descriptif en est banni, le peintre se limitant à quelques motifs allusifs. L’autre sujet majeur de cette école est la représentation de fleurs, d’arbres et d’herbes sauvages disposées dans des groupements géométriques, sur des paravents, des rouleaux verticaux ou horizontaux, des éventails ou des papiers (Kotsutsumi) utilisés pour envelopper des encens. Ces motifs furent aussi reproduits sur les céramiques, les laques et les textiles. Tandis que le peintre Sôtatsu avait choisi de peindre sur des éventails pliants (ôgi), Kôrin répond à la mode contemporaine en décorant de nombreux éventails circulaires (uchiwa) de vagues stylisées, d’herbes et de fleurs en gros plans, librement composés.
Biographie
Ogata Kōrin ou Ichinojō, 尾形光琳, est né en 1658, à Kyoto, et mort le 2 juin 1716 dans la même ville. Comme il est courant à l’époque, il possède plusieurs noms, noms familiers : Kariganeya Tōjûro, Katsuroku, ou noms de pinceau : Kōrin, Hōshuku, Jakumel, Dōsû, Kansei, Iryō, Seiseidō, Chōkōken. Son frère Sanken et lui évoluent dans le cadre d’ une famille de riches marchands d’étoffe de Kyōto, propriétaire de l’importante maison Karigane-ya qui fournissait des tissus de luxe aux guerriers et courtisans depuis le XVIème siècle; ils travaillaient également pour la famille impériale, l’empereur Go-Mizunoo et l’impératrice Tofukumon.in, ainsi que pour le clan des Hideyoshi. Son père, Ogata Soken (1621-1687), amateur de théâtre Nō, cultive la peinture dans le style à la mode où se conjuguent des éléments Kanō et Tosa et crée des éléments de costumes de Nō et des kimonos somptueux. Bon calligraphe, cet homme se situe dans la tradition de Hon’ami Kōetsu (1558-1637). Il transmet à Kôrin et à son frère Sanken ses connaissances en peinture et en calligraphie. Körin reçoit sa formation initiale dans les ateliers Kano. Les deux consacrent leur jeunesse à la culture : cérémonie du thé, calligraphie, peinture et Nô, activités répandus parmi l’élite des marchands de la ville.
A la mort de sa principale commanditaire et protectrice, l’impératrice Tofukumon.in, en 1678, le commerce commence à décliner pour finir par s’effondrer en 1703, suite à une dette non remboursée et aux dépenses fastueuses de Kôrin. Les deux frères doivent alors subvenir à leurs besoins et devenir artistes professionnels. Bien que peintre également, Kenzan s’adonne alors à la poterie et Kôrin décore ses céramiques de motifs floraux. Les nombreux croquis de cette époque, faits d’après nature, particulièrement de fleurs et d’oiseaux, révèlent les principes de sa création, bien qu’ils puissent étonner par leur réalisme minutieux, au regard de la stylisation de ses œuvres ultérieures. Par la suite, il décide de se consacrer exclusivement à la peinture.
En 1701, son art est reconnu et il reçoit le titre de hokkyō (titre religieux conféré à des artistes) marquant un tournant dans sa vie. Son œuvre est marquée par l’intérêt qu’il porte à la culture aristocratique et à la littérature classique, par l’utilisation de compositions décoratives empruntée à l’art textile et par l’admiration sans borne qu’il voue aux peinture de Sosatsu, l’un des peintres ayant notamment illustré le Dit du Genji, l’un des premiers romans de la littérature japonaise. Il adopte deux styles : l’un privilégie les couleurs épaisses et les fonds d’or, l’autre l’encre monochrome ou légèrement rehaussée de couleurs diluées.
Pruniers rouges et blancs
Son génie de décorateur se révèle à son apogée dans une paire de paravents à deux feuilles : Prunier blanc et prunier rouge. C’est une illustration pour le chapitre XLII, « Le prunier rouge », du Dit du Genji. Il abandonne en effet tout réalisme pour exprimer librement son talent de créateur.
Il emploie un procédé nouveau qui est d’utiliser la partie centrale comme élément unificateur de deux paravents, en l’occurence un cours d’eau, procédé qui inspirera des générations d’artistes. Outre sa science de la composition, cette oeuvre illustre sa parfaite maîtrise technique : courbes et cercles, thème permanent de ses recherches, semblent se cristalliser dans le cours d’eau sur lequel se dessine l’arabesque des vagues créant une rivière onduleuse rehaussée d’argent, dont les rivages en feuilles d’or sont plantés de part et d’autre symétriquement de deux arbres aux troncs noueux et moussus, traités sans cerne et semés de tarashikomi (couleurs superposées avant d’avoir séché et qui se diluent l’une dans l’autre).
Ogata Kōrin, Pruniers rouges et blancs. Paire de paravents, 156 × 172,2 cm chaque paravent. Encre et couleurs sur papier recouvert de feuilles d’or. Vers 1700-1716. Musée Kiûsei (MOA: museum of Art),Atami, Préfecture de Shizuoka.
Paons et roses trémières
Kôrin montre un goût prononcé pour les compositions contrastées, combinant des formes stylisées verticales à d’autres courbes. La paire de paravents à deux feuilles et fond d’or Paons et roses trémières en est un exemple.
Sur la première paire, le paravent de gauche, les tiges fournies de fleurs rouges et blanches se dressent verticales et parallèles au-dessus et en-dessous d’un ruisseau dont la forme horizontale traverse les deux feuilles, avec un souple décrochement aux trois-quarts de son cours. Cette composition presque symétrique donne au regard une dynamique circulaire progressant de bas en haut et de droite à gauche, alors que la symétrie parfaite (horizontale et verticale) en eut provoqué une lecture statique.
Sur la deuxième paire, un tronc d’arbre placé au premier plan forme une masse sombre découpée en arc de cercle encadrant un couple de paons dont le mâle fait la roue. L’extrémité de ses branches aux formes découpées part de la paonne pour y revenir par les racines externes de l’arbre. Enfin les pattes des paons, tant par leur forme que par leur couleur, semblent être des branches supplémentaires. L’ensemble de la composition laissant presque vide le fond de feuilles d’or formant un triangle en haut à gauche du paravent de droite. Le regard suit donc le coté inférieur du triangle partant de la paonne, passe par les branches, puis par le tronc, et revient à la paonne par les racines ou inversement selon que l’on lit le tableau de droite à gauche ou de gauche à droite, le tout encadrant le paon qui fait la roue, sujet central et cercle central mais non centré du tableau.
Une dynamique parcourt les deux paires de paravents : le regard suit le cheminement du ruisseau jusqu’au paravent de droite pour s’arrêter à la roue du paon qui s’aligne parfaitement sur le ruisseau et qui lui répond par le même spectre de couleurs, en même temps que le caractère circulaire de ses plumes répond à celui des roses. Le regard s’arrête ensuite à la masse sombre du tronc d’arbre avant de descendre, puis de remonter jusqu’à la paonne, pour repartir vers les branches.
Différents cheminements de lectures s’offrent donc au spectateur selon qu’il suit les directions offertes par la composition, les couleurs ou les formes inhérentes à chaque paravent ou que son regard embrasse les deux paravents ensemble.
Les paravents aux iris (Les huit ponts)
Le thème des iris, cher à Kôrin est inspiré du Yatsuhashi (« les huits ponts »), le chapitre 9 du Ise monogatari (contes d’Ise). Il y consacrera plusieurs paravents et rouleux verticaux. Cet épisode raconte la traversée des ponts entourés de marécages remplis d’iris. Son succès tient à cette stylisation qu’il applique aux thèmes de la littérature japonaise au point de les transformer en motifs décoratifs, dans des couleurs puissantes, presque des abstractions.
Iris
La paire de paravent aux Iris est le couronnement de cette période de son art, soit avant 1704. Sur le fond d’or, huit bouquets d’iris pleinement épanouis, variant seulement par leur emplacement plus ou moins élevé dans la composition. La distribution des masses de fleurs bleu foncé et des feuillages verts rythme la surface, dans une stylisation audacieuse où les objets perdent leur poids et se fondent aux mouvements de la couleur. Mais la technique en est relativement simple. Les touffes d’Iris qui recouvrent le paravent ne comprennent que deux couleurs : le bleu profond des fleurs et le vert luxuriant des feuilles, les couleurs variant seulement en intensité.
Ci-dessus : Paire de paravents à six panneaux couleur et feuille d’or sur papier. Dimensions de chaque paravent : 151,2 x 358, cm , Musée Nezu Tokyo
Plus haut : détail
Dans le même esprit, Chrysanthèmes au bord d’un ruisseau
Un d’une paire de paravents, encre et couleur sur papier doré à la feuille d’or. Dim: 163,2cm x 369,9 cm.
Chrysanthèmes et érable, Honolulu museum of art.
Au Japon, le chrysanthème symbolise le soleil et la lumière (l’immortalité). Les Japonais ont fait de cette fleur leur symbole national et célèbrent chaque année le “Festival du bonheur” où le chrysanthème est à l’honneur. La croyance populaire veut qu’un pétale de chrysanthème au fond d’un verre de vin vous apporte une vie heureuse et une bonne santé.
Cerisiers
Vagues
Les portraits
Portrait de Nakamura Kuranosuke
En 1704, il suit à Edo l’un de ses mécènes, Nakamura Kuranosuke dont il fait un portrait, s’efforçant d’introduire des courbes stylisées jusque dans la représentation de la figure humaine. Nakamura fut un riche administrateur du gouvernement de Ginza Mint à Kyoto et le plus fidèle des mécènes de Kôrin. On le voit ici, habillé en costume de Nô, théâtre pour lequel ils partageaient tous deux la même passion.
Portrait de l’empereur Go-Mizunoo
Peint à l’occasion de la commémoration des soixante ans de l’empereur.
Raijin (dieu de la foudre) et Fujin (dieu du vent)
Les dieux du Vent et du Tonnerre figuraient souvent dans les peintures bouddhiques, parfois aussi sur les rouleaux enluminés, mais seulement comme personnages mineurs. Le peintre Sosatsu brisa avec la tradition en représentant les deux divinités de façon indépendante et à part entière. Le chef d’œuvre de Sosatsu lui valut une telle popularité que son successeur Kôrin en fit une copie.
Pour d’autres articles sur la peinture japonaise :
Hiramatsu, le bassin aux nymphéas : hommage à Monet
Tsuguharu Foujita (1) : les nus des années 20
2 commentaires sur « L’école de Rinpa (1) : Ogata Kôrin »