Une poterie japonaise fascinante et unique grâce aux flammes.
Le fondateur : Chōjirō
(ou Rakuchōjirō : 1515/16-1989/90) est le fondateur du style raku-yaki. Il est le fils d’un certain Ameya, artisan potier originaire de Chine. Sa rencontre avec le maître de Thé Sen no Rikyû (1522-1591) l’amène à créer des chawan (bols à thé) destinés à la cérémonie du thé, le cha-no-yu, empreinte de l’influence du zen. Le thé est l’objet de la cérémonie et les bols ne doivent pas détourner l’attention par leur beauté ou leur raffinement.

Chôjirô, Ôguro (grand noir), bol Raku noir (XVIe siècle), bien culturel important du Japon. Collection privée
Il a réalisé ce chef-d’œuvre de sobriété — remarquable par l’irrégularité de sa forme, l’austérité de sa couleur et une absence totale de décor — au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, à la demande du grand maître de l’art du thé Sen no Rikyû. Chôjirô a façonné cette céramique à la main de façon à ce qu’elle repose délicatement dans la paume du buveur de thé, en lui donnant l’impression qu’il s’agit d’un objet de terre encore malléable. Sous son apparence modeste et paisible, ce chawan incarne la profondeur d’esprit de Chojirô et Rikyû, deux hommes de l’époque brillante de Momoyama (1568-1603) qui ont accordé une importance vitale au concept esthétique de wabi et aux notions de tranquillité, de solitude, de simplicité et de frugalité allant de pair avec.

Chôjirô, Kaburo (jeune assistant), bol Raku noir (XVIe siècle), bien culturel important du Japon. Collection Fondation Omotesenke Fushin’an
Sen no Rikyû aimait, paraît-il, tout particulièrement le bol ci-dessus. L’école Omotesenke — une des trois lignées descendant directement du grand maître du thé — l’utilise en principe uniquement à l’occasion des célébrations dédiées à sa mémoire.
La couleur des Rakus
Chôjirô produit des bols exclusivement rouges (Aka-Raku) ou noirs (Kuro-Raku), d’aspect simple et sans décoration. C’est la marque de son style : le wabi. Son père, potier également, employait la technique chinoise de la céramique à trois couleurs “Sosansei”, qui doit son nom à sa glaçure caractéristique vert, brun-jaune et blanche. Chôjiro rompt ainsi radicalement avec la tradition en imposant cette couleur noire dans un premier temps. C’est le traitement que subit la pièce qui lui donne sa couleur noire : après une cuisson individuelle ou en petites quantités à une température comprise entre 1000° Celsius et 1250° Celsius, le potier sort rapidement la pièce du four à l’aide de pinces pour la plonger dans de l’eau. La pièce subit ainsi un brutal refroidissement du fait de cette immersion qui la fait passer d’environ 1000° Celsius à une température ambiante et qui engendre cette couleur particulière. Naturellement, le choc brutal de température entraine des pertes, la pièce pouvant se fendre en morceaux du fait de ce traitement. Cela explique aussi que les Raku noirs sont les plus chers et les plus prisés par les collectionneurs.
On doit la texture et la couleur brun rouille non pas à une glaçure, mais à la terre à partir de laquelle il a été modelé. Au cours de la cuisson à l’intérieur du four, le fer contenu dans l’argile s’oxyde, donnant aux bols leur belle couleur rouge. Une couche d’engobe est posée sur la pièce, suivie d’une cuisson à 850° Celsius, c’est-à-dire à basse température.

Chôjirô, Muishibutsu (rien), bol Raku noir (XVIe siècle), bien culturel important du Japon. ©Collection Musée d’Art Egawa, Nishinomiya, préfecture de Hyôgo
Le mot Raku

Chawan “Omokage” (ombre du souvenir) par Chôjirô, © Musée Raku

Chōjirō, Raku rouge, “Tarōbō”, © Musée Raku
Jôkei, neveu de Chôjiro, également potier, et perpétuant le travail de Chojiro, reçoit un sceau de la part du shôgun Toyotomi Hideyoshi qui l’autorise à rajouter à son nom: Raku, terme difficilement traduisible, mais dont le sens principal est “plaisir” ou “confort”. Ceci marque le début du style de poterie raku-yaki. Chojiro devint ainsi le fondateur de la dynastie Raku qui est toujours active, et dont le représentant actuel est le quinzième du nom : Kichizaemoni XV, né en 1949. Le mot Raku , décrivant une particularité physique résultant d’un mode de cuisson, donna son nom à son inventeur. Chaque objet est unique, car il n’est pas possible de contrôler avec précision le temps de cuisson et la température, les fours employant la combustion du bois de chêne — et non le gaz ou l’électricité comme les fours modernes. La flamme du four est activée manuellement par une paire de soufflets pendant 18 heures.
Une pièce unique et imparfaite
L’unicité de chaque objet va de pair avec son imperfection.
« Quand j’essaie de m’exprimer à travers une forme ou une glaçure, dit Raku Kichizaemon XV, au bout du compte, c’est toujours la nature qui a le dernier mot. C’est un monde de l’ordre du sacré, qui transcende l’ego. Cette conception de la nature propre aux Japonais est très présente dans les bols à thé Raku. Les légères déformations dues au fait que les bols Raku sont façonnés à la main jouent un rôle essentiel. On dit volontiers qu’une chose parfaite est superbe, mais elle n’est porteuse d’aucune idée. En revanche, on se fie davantage à une chose imparfaite parce qu’elle donne le sentiment d’une relation profonde avec la nature. »
Chaque pièce a un nom
On remarque que chaque pièce reçoit un nom par son créateur. La poésie des appellations relève de plusieurs champs lexicaux dont le référent est parfois la nature (pluie de printemps, vieux pin, arbre noir, etc.), le monde animal (cheval sacré blanc), un concept (rien), ou une image qui unit le monde physique au monde mental (ombre du souvenir). Le choix du nom se fait parfois en fonction de l’apparence physique du bol — sa couleur, son grain, son glacis, sa forme — mais pas uniquement. Il peut faire allusion à une personne, peut-être le destinataire du bol (jeune assistant) ou à la vie même du bol (seul survivant). C’est le cas du bol ci-dessous, constitué d’un tesson ramassé dans les décombres de l’atelier partiellement détruit par le grand tremblement de terre de Kanto en1923. En 1934, un seul tesson d’un bol à thé fut incorporé à un nouveau bol fabriqué par un représentant de la 13ème génération : Seinyu XIII.

Seul survivant : “Kimamori”, © Musée Raku
Quelques successeurs
Nous avons fait un choix partiel et partial parmi les objets et leurs auteurs.
Tanaka Sôkei (1535-?)

Tanaka Sôkei , bol raku noir, “isarai”, © Musée Raku
Bol en raku noir nommé “Isarai”, mot qui fait allusion à une eau de source. Cette forme qui avait la prédilection de Rikyû est représentative du style de Sôkei et est marquée de son sceau.
Jôkei II ( ?-1635)

Jôkei II, raku noir, “kuroki” © Musée Raku
A droite, le bol “Kuroki” (littéralement : noir-arbre) de forme particulièrement large et inégale dont le style est similaire aux bols du maître de thé Oribe. Jôkei, successeur de la deuxième génération, introduisit le goût de l’époque, se distinguant ainsi des formes de prédilection du fondateur.
Dôniû III (1599-1656)

Dônyû III , bol en raku noir, “kinoshita”, © Musée Raku
Le contour délicatement ondulé du bol rend la forme généreuse. La glaçure “makuyû” à l’aspect satiné attrape la lumière qui coule tel un voile sur le noir de suie du bol.
Dans le bol ci-dessous, on remarque les engobes blanches en forme de carré sur l’argile évoquant le papier blanc japonais (shikishi) dessinées sur le corps de l’argile rouge de type “juraku”, enduit d’un glaçage transparent, que l’on appelle chocolat. Le travail sur la décoration de l’argile est plus profondément poursuivi dans le travail de Dôniû III que dans les deux générations qui l’ont suivi.

Dônyû III, Raku rouge, “sôjô”, ©musée Raku
Hon’ami Koetsu (1558-1637)

Chawan “Fuji-san”, Hon’ami Koetsu. © Musée des Arts Hattori
Artiste d’abord connu en son temps comme calligraphe — très souvent en collaboration avec le peintre Sotatsu Tawaraya — Hon’ami Koetsû, également apprécié pour ses laques, a eu un grand succès en tant que potier, et fut un pratiquant célèbre à côté du maître de thé Furuta Oribe. Le nom (Fuji-san) fait allusion au Mont-Fuji dont le sommet est toujours recouvert de neige. Les nuances de brun et de vert évoquent le terre et la nature.
Sôniû V (1664-1718)

Sôniû V, raku noir, “umegoromo”, ©Musée Raku
Le bol ci-contre a longtemps été utilisé à la cérémonie du Nouvel-An par la famille Raku. La glaçure noir mat, connue sous le nom de glaçure kase, qui apporte au bol un rendu de fer rouillé, est propre à Sôniû qui tenta de cette manière de se ré-approprier l’esthétique recherchée par Chôjirô. Deux incurvations rythment le corps du bol, lui apportant un aspect sinueux.

Sôniû V, raku rouge, © musée Raku
Ci-dessus, bol à thé, raku rouge, provenant de l’ancienne collection de la famille Raku. Ce bol est d’une forme plus ovale, c’est-à-dire légèrement plus large avec une légère incurvation sur le côté gauche du corps, supporté par un pied bas. La glaçure
tamisée apporte un voile de lait sur le rouge du bol.
Les différentes cuissons
Plusieurs cuissons sont possibles. Par exemple, il y a la technique “yaki-nuki” qui a été mise au point par la IVe génération Ichinyû (1640-1696). Elle consiste à mettre en contact les poteries directement avec les braises ou les flammes, à l’intérieur du four. Alors que Chojiro les enfermaient dans une caissette. Les bols de Kichizaemon XV s’inscrivent dans le droit fil des traditions de sa famille tout en relevant du travail d’un potier contemporain, par exemple dans le modelage du corps du bol qui laisse apparaître les coups de spatule.

Raku Kichizaemon XV, bol Raku noir yaki-nuki (2012) ©Collection du musée national d’Art moderne de Tokyo

Bol Raku , yaki-nuki ,” Hakuraku” , Raku Kichizaemon XV – © Collection of the Raku Museum

Raku Kichizaemon XV, “Yôkoku”, bol Raku noir de style yaki-nuki, 1989, collection privée
Notre sélection s’est portée sur les chawan (bols à thé) par goût personnel, mais naturellement d’autres objets comme des plats ou statuettes ont été réalisés.
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