Une estampe japonaise influencée par l’Occident !

Kawase Hasui, La saison des pluies à Ryoshimachi
Historique
Le mouvement Shin-hanga (新版画, littéralement « Nouvelles gravures », parfois traduit en « Renouveau pictural »), est un mouvement artistique du XXe s. au Japon pendant les périodes Taisho (1908-1925) et Shôwa (1926–1989). Il fut florissant entre 1915 et 1942, et connut une reprise de 1946 jusqu’à la fin des années 1950. Ce genre d’estampes perpétua le système hérité de l’ukio-e (XVIIe siècle – XIXe siècle) avec le traditionnel quatuor (dessinateur, graveur, imprimeur, éditeur), à l’opposé du mouvement Sosaku-Hanga (Impressions créatives) où l’artiste peintre est actif à tous les stades de production.
Les éditeurs
Parmi les éditeurs tels que Watanabe Shozaburo, Doi, Kawaguchi, Unsodo, il faut retenir Watanabe Shosaburo (1885-1962). Vers 1905, âgé de 20 ans, il fait un état des lieux. Les collectionneurs se trouvent majoritairement en Europe et aux USA. Le Japon, jugé exotique et conservatoire de traditions, fait rêver l’Occident. Sous ses yeux, des artistes dessinateurs d’estampes gâchent leur talent à illustrer les journaux ou peindre sur porcelaine. Il pense alors qu’il est temps d’initier la création de nouvelles estampes dessinées selon ce que désirent contempler les collectionneurs : une vision romantique du Japon qui a cessé d’exister à la fin de la période Edo en 1868. Watanabe retrouve alors le papier, le bois et les hommes, ces artisans qui maitrisent la gravure et l’impression. Il nommera ces estampes Shin hanga (Estampe nouvelle) à partir de 1921, afin de mettre l’accent sur le renouvellement du style.
Les graveurs sont mis à l’épreuve par un dessin très dense, enrichi de mille détails. Les dessins étaient sculptés dans du bois avec un bloc différent pour chaque couleur. Ces bois étaient ensuite passés à l’imprimeur qui appliquait le papier de façon à avoir une mise en place parfaite des couleurs. De plus, le naturalisme des couleurs exige la gravure de 25 à 30 planches de bois par estampe au lieu d’une dizaine pour l’Ukiyo-e traditionnel. Watanabe embauchera à la fois des artistes étrangers séjournant au Japon et des peintres locaux qu’il convertit à l’estampe.
Des peintures de lumière

Hodo Nishimura
Les effets de lumière du Shin-hanga sont inédits dans l’art japonais. Inspirés par les impressionnistes et les post-impressionnistes, les artistes du mouvement Shin-hanga intègrent des éléments occidentaux tels que les jeux de lumière et l’expression personnelle tout en se concentrant sur des thèmes traditionnels. Le Shin-hanga a pour but de faire ressentir l’atmosphère alors que l’ukio-e (peinture du monde flottant, estampes traditionnelles) traite de thèmes populaires multiples, même si Hiroshige avait accordé une importance toute particulière à la recherche d’atmosphère. Comme dans la peinture classique européenne, les paysages baignent dans une lumière solaire ou lunaire colorant l’atmosphère, créant ombres et reflets. Le soleil scintillant sur la neige, le halo froid de la lune, l’horizon gris-bleu haché par l’averse sont restitués par la virtuosité des artisans imprimeurs.
Les grands noms du paysage
Pour les paysages, urbains ou ruraux, les phénomènes naturels (la nuit, la neige, la pluie, la brume) prédominent. Les artistes de paysage les plus illustres sont ITO Shinsui (1898-1972), considéré comme l’un des plus importants du Japon, KAWASE Hasui (1883-1957) et HIROSHI Yoshida (1876-1950).
KAWASE Hasui (1883-1957)

Tsuchiya Koitsu,Pluie à Ushigome
Spécialiste du paysage, il a passé sa vie à parcourir le Japon avec son carnet de croquis à la main afin de saisir sur le motif les sites remarquables de son pays. Au travers de croquis et aquarelles, il capte au passage une atmosphère, l’instant particulier qui va sublimer un paysage : la lumière d’une journée d’automne, la douceur d’un crépuscule d’été… C’est aussi le maître du paysage de neige. Watanabe a édité près de 600 œuvres de Hasui, dont une partie a été malheureusement détruite dans le tremblement de terre de Tokyo en 1923. Ci-dessous, de droite à gauche : Clair de lune at Matsue à Izumo, Pagoda d’ Ikegami Honmonji,
Hasui a peint tous les aspects des quatre saisons, du paysage nocturne sous une lune sombre jusqu’aux paysages d’été ensoleillés. Dans beaucoup d’estampes, le contraste est fort entre les ombres et la lumière et sa palette va des bleus austères aux gris glacés des paysages d’hiver, et aux scènes d’été brillamment colorées avec les rouges des temples. Il nous donne un large éventail des paysages japonais, campagnes et montagnes, rivières et lacs ainsi qu’une représentation de la ville avec les canaux, ponts, entrepôts et sanctuaires. Ses paysages portent toujours le nom d’un lieu, comme il est de tradition dans l’estampe japonaise. Il est le spécialiste des paysages au clair de lune et le seul capable de capter la différence de luminosité entre une lune d’hiver et une lune de printemps.
Hasui n’incorpore que peu la figure humaine. La plupart de ses estampes sont des paysages sans personnage, et quand il y en a ce sont plus des silhouettes en nombre réduit. Ses personnages sont le plus souvent vus de derrière et sont placés au bord de l’image ou en arrière-plan. Leur isolement ajoute un sentiment de tristesse ou de mélancolie qui est typique de son style.

Kawase, Kosho temple
Il excelle à représenter la façon dont la lumière du soleil ou de la lune joue sur le sol à travers la végétation.
L’estampe d’Hasui la plus célèbre est Le temple Zojo-ji à Shiba sous la neige. C’est dans ce temple que sont situées les tombes des Shoguns Tokugawa. La première impression date de 1925 et elle a été réimprimée de nombreuses fois (plus de 3000) en utilisant les blocs d’impression d’origine.
La neige a fait l’objet de beaucoup d’estampes, ci-dessous petit florilège d’oeuvres de Kawase.
En 1953, le gouvernement japonais lui a conféré le titre de “Trésor national vivant” et le trio artiste-sculpteur-imprimeur réuni par l’éditeur Watanabe a vu son estampe la plus célèbre : Neige au temple Zozo-ji désignée “Trésor culturel”.
Les portraits de belles femmes : bijin-ga
Pour les portraits de “belles femmes” les artistes les plus réputés sont Itô Shinsui , Hashiguchi Goyô (1880-1921), Torii Kotondo (1900-1976), Itô Shinsui , Hiroshi Yoshida,, Tahakashi Hiroaki (1871-1945), (1871-1945), Ishikawa Toraji et Kobayakawa Kiyoshi.

Shinsui Ito, Une femme mûre
Itō Shinsui naît dans le quartier Futagawade l’arrondissement Kôtô-ku de Tokyo. Après que des investissements imprudents ont mis en faillite l’entreprise de son père, il est forcé d’abandonner l’école primaire en troisième année et devient apprenti dans à un atelier d’impression. C’est de cette manière qu’il est initié aux techniques d’impression et aux arts d’une façon générale. Comme la plupart des artistes du mouvement shin-hanga, Itō Shinsui est remarqué par l’éditeur Watanabe Shozaburo qui de fait monopolise le marché. Il devient connu comme le spécialiste du genre bigin-ja bien qu’il peigne aussi occasionnellement des paysages.
La première gravure majeure d’Itō Shinsui, « Devant le miroir », représente une jeune femme vêtue d’un kimono rouge profond qui regarde au loin dans un miroir invisible. Au lieu d’utiliser le dur rouge aniline courant dans les autres estampes contemporaines, Itō emploie une teinture naturelle végétale et sur imprime la robe plusieurs fois pour atteindre une riche couleur pourpre. Une attention particulière est également portée à la texture de fond gris moucheté, faisant contraste avec le vêtement rouge, les cheveux noirs et la peau blanche. L’on pense aux Nabis… tandis que la “femme mûre” a un petit air de Schiele…
Thème sensuel, point de vue intime, déploiement des étoffes, couleurs vibrantes caractérisent les portraits de Ito S . La forme horizontale du portrait ci-dessous est assez inhabituelle, et est plutôt réservée aux paysage, comme les deux appellations le soulignent en photographie : portrait pour un cadrage vertical et paysage pour l’horizontale. La composition place le femme à droite , laissant la place au fond rouge chaud, riche et profond. La position de la femme penchée en avant crée une pyramide dont le côté gauche est dessiné par le crayon à sourcils et se termine sur la bougie. On dirait presqu’un “arrêt sur image”.
Itō Shinsui crée son propre atelier indépendant en 1927. Bien que beaucoup de ses premières œuvres soient des reflets directs des ukio-e traditionnels au niveau du sujet et du style, sa technique est révolutionnaire. Il peint un « tableau maître » en aquarelle et des artisans spécialisés réalisent les gravures réelles de cette « copie de maître ». Il est ainsi un pionnier du mouvement shin-hanga. Watanabe et Itō poursuivent leur coopération d’affaires jusque dans les années 1960 et Watanabe exporte des milliers de tirages de Shinsui, générant un grand succès pour eux deux.

Ito Shinsui, Délicieux désordre
La délicatesse des couleurs, la composition et la minutie des détails des écrits de “Délicieux désordre” sont tout à fait remarquables. L’on passe du blanc au noir par un camaïeu de mordorés qui donne à l’estampe une subtilité apaisante sur laquelle seule la théière bleue se détache, telle une ponctuation. Le visage, élément le plus clair (avec les mains) se trouve au croisement de deux diagonales composées d’une part, de gauche à droite et de bas en haut par un mouchoir, le noeud du obi, le visage, le haori et l’affiche foncée, et d’autre part, de droite à gauche et de bas en haut, par le pied, le journal, la main, le colllier, et le calendrier suspendu. Les verticales de la porte et les horizontales de la terrasse encadrent la jeune femme dans une forme de L, auquel répond l’horizontale du porte-manteau et la verticale d’un socle, formant à eux quatre un cadre dans le cadre légèrement décalé sur la droite et en hauteur. A l’intérieur de ce cadre se déploient deux lignes sinueuses composées d’une part par l’ensemble des écrits et qui se terminent “hors cadre”par le pied de la jeune femme, et d’autre part, une ligne sinueuse qui part de l’affiche en haut à droite, le haori, le corps de la jeune femme et s’achève sur son pied dans une alternance de blanc et noir. Le cercle composé par les différents objets entoure dans un nouveau cadre la jeune femme, cercle dont s’échappe le pied dénudé, mis de fait à nouveau en valeur. A l’intérieur de ce cercle, une pyramide dont les trois extrémité sont le mouchoir, le visage et la théière. La pose calme et alanguie de la jeune femme en train de lire fait de cette “scène de la vie quotidienne”, en l’occurence la lecture du journal, un moment de grâce nonchalante volé au temps dans le “délicieux désordre” des objets à moins que le “désordre” du pied qui rompt chaque cadre et clôt le mouvement des diagonales du regard ne soit le véritable objet de délice…
Hashiguchi Goyo
Hashiguchi Kiyoshi est né en 1880 à Kagoshima. Son père, Hashiguchi Kanemizu, était samouraï et peintre amateur dans le style Shijo. Ce dernier embaucha un professeur de peinture Kano en 1899 lorsque Kiyoshi eut dix ans. Kiyoshi intégra ensuite l’École des Beaux Arts de Tokyo, dont il sortit diplômé, major de sa classe, en 1905. C’est alors qu’il choisit le pseudonyme Goyo, en référence aux cinq “pins aiguilles” du jardin de son père, qu’il affectionnait particulièrement. En 1911, il fut de nouveau remarqué pour une affiche ukiyo-e dessinée pour le grand magasin Mitsukoshi. Goyō devint alors un adepte sérieux de l’ukiyo-e.

Hashiguchi Goyô, Femme se peignant
Il lut et étudia œuvres originales et reproductions. Son intérêt le porta notamment vers les grands artistes classiques ukiyo-e et il rédigea plusieurs articles sur Utamaro, Hiroshige et Harunobu. À partir de 1914, il contribua par d’autres articles à diverses études de l’ukiyo-e parues dans les magazines Journal de l’Art et Ukiyo-e. Devenu alors un adepte sérieux de l’ukiyo-e, il fut, en 1915, poussé par l’éditeur Watanabe Shozaburo, il dessina une estampe destinée à être imprimée sous la direction de Watanabe : ce fut Le Bain (Yuami). Alors que Watanabe aspirait à poursuivre cette collaboration, Goyō en décida autrement. Il devint en 1916-1917 le superviseur de la reproduction de 12 tomes intitulés Estampes japonaises (Yamato nishiki-e) et s’appropria alors les techniques des artisans graveurs et imprimeurs. Parallèlement, il dessinait à partir de modèles vivants. À partir de 1918 et jusqu’à sa mort, il dirigea en personne la gravure, l’impression et l’édition de son propre travail. Pendant cette période, il réalisa 13 estampes — quatre paysages, une scène de nature représentant des canards et huit portraits de femme. Son œuvre compte donc quatorze estampes, si l’on inclut Le Bain.

Hashiguchi Goyo, Femme sortant du bain, 1920
L’on peut remarquer à propos de “Kimono d’été” le regard dirigé vers le spectateur, fait assez peu courant dans les portrait de femmes qui, accompagné du port hiératique de sa tête contrastent avec la légèreté de sa tenue et sa nudité semi apparente. Les motifs du coussin, du kimono et de l’étoffe de tissu s’opposent vivement à la blancheur immaculée de sa peau. Les contours de sa silhouette forment une pyramide légèrement déséquilibrée de par la position des jambes. Pyramide entourée par le demi-cadre composé du coussin, du meuble et de l’étoffe bleue qui eux-mêmes rompent le cadre du tableau. Cette asymétrie rythme l’image et le triangle formé par le meuble répond à celui de la pyramide formé par le corps. La main posée sur le sol semble retenir l’instabilité de la posture. Une image qui joue sur les oppositions entre le haut et le bas du tableau : stabilité et immobilité d’une part ; fragilité, instabilité et déséquilibre d’autre part. Un petit air penché qui, ajouté aux motifs des tissus, n’est pas sans rappeler les compositions de Matisse.

Hashiguchi Goyô (1880-1921), Kimono d’été
Les acteurs de kabuki

Naturi Shunsen, acteur kabuki
Quelques artistes réaliseront également des estampes d’acteurs de kabuki (théâtre japonais traditionnel), vers la fin des années 10 et dans les années 20. Le plus important est Naturi Shunsen (1886-1960), considéré comme le dernier maître de la représentation d’acteurs de kabuki.

Kataoka Nizaemon as Honzo Natori Shunsen, 1925
Pour d’autres articles sur l’estampe japonaise voir :
Sôsaku hanga : l’estampe créative
Les origines de l’estampe ukiyo-e : image du monde flottant
2 commentaires sur « Shin Hanga : l’estampe nouvelle »