L’écriture chinoise : les origines

IMG_2551Nous commencerons par une légende concernant les origines de l’écriture chinoise, puis seront présentées trois écritures en fonction de leur apparition chronologique : l’écriture osécaille,  la grande sigillaire et la petite sigillaire. Les appellations de ces écritures diffèrent selon les époques et ne relèvent pas d’une grande cohérence : parfois le nom donné à un système d’écriture vient du support sur lequel elle a été employée (osécaille, par exemple), parfois de son emploi (sigillaire), parfois encore de son créateur (zhou). Le terme même d’écriture peut être exprimé par les vocables de wen, shu, shufa. Enfin, seront donnés quelques exemples de calligraphes employant la sigillaire du XVIIIème s. au XXème s.

LA LEGENDE de Cang  Jie

Cang Jie

Cang Jie


L’une des légendes qui raconte la naissance de l’écriture est la légende de Cang Jie. Cang Jie est, selon la tradition chinoise, un ministre de l’Empereur jaune (c. 2750 av. J.C., un des 5 empereurs légendaires de Chine) qui inventa les caractères chinois. Il est décrit comme ayant quatre yeux lui permettant de voir les secrets du ciel et de la terre. Il aurait aussi eu les paupières doubles, comme les souverains mythiques Yu et Shun et le puissant Duc de Jin. Il est connu comme l’inventeur des caractères dès l’époque des Royaumes Combattants  car ce fait est mentionné dans les annales de Lü, le Hanfeizi et le Huainanzi. Selon ce dernier ouvrage, quand Cang Jie inventa les caractères, le Ciel fit pleuvoir du millet et les esprits mauvais pleurèrent dans la nuit. Selon Xun Zi, nombreux étaient autrefois ceux qui connaissaient l’écriture, mais Cang Jie est celui qui l’a transmise après l’avoir systématisée.

Empereur jaune, 2698 av. J.C – 2597 av. J.C

Empereur jaune, 2698 av. J.C – 2597 av. J.C

Une version de la légende de Cang Jie raconte que l’Empereur jaune lui commanda d’inventer un système d’écriture juste après qu’il eut unifié son domaine, pour remplacer le système de notation par cordes nouées. Il s’installa près d’une rivière et resta longtemps sans résultat. Un jour, un phénix laissa tomber devant lui une motte de terre durcie portant l’empreinte d’un animal. Justement, un chasseur arrivait sur le chemin et Cang Jie lui demanda s’il reconnaissait l’animal. Ce que fit le chasseur. Ce fut pour Cang Jie une révélation. Il observa alors chaque chose et conçut pour la désigner une marque immédiatement reconnaissable. L’empereur jaune éminemment satisfait fit promulguer l’usage de son écriture dans tout le pays et lui fit élever un temple. Ce n’est là que légende, tenue pour telle par les historiens chinois dès l’époque ancienne. Elle nous éclaire cependant sur le caractère “magique” que la Chine reconnaît à son écriture, sur sa relation à l’univers et à la nature dont elle prend possession en perçant leurs mystères.

LES CARACTERE “WEN” et “SHU”

L’historien et philologue Xu Shen (30-124), rédigea en l’an 100 un dictionnaire étymologique chinois : Théorie des graphies primitives et explication des graphies dérivées. Etymologiquement, le caractère wen signifie : tracés se recoupant; figuration d’entrecroisement Les wen sont les artères lisibles du monde, qui se manifestent dans les veines de la pierre, dans l’agencement des étoiles dans le ciel ou les traces d’animaux sur le sol de la terre. C’est cette forme qui donne un sens au fond, au chaos inorganisé. Les lignes ou formes, sans sens apparents, renferment la réalité perceptible du principe de la création. C’est à partir de ces traces qu’est née l’écriture des hommes : shu.

JIA GU WEN

(XVIIème s. av.J.-C. – IIème s. av. J.-C.), écriture osécaille ou style archaïque

Le mot Jia signifie écaille, gu : os, wen : écrits, d’où l’appellation d’ écriture osécaille. Les pièces trouvées par les archéologues sont des inscriptions divinatoires et des archives royales, gravées sur des carapaces de tortues et sur des omoplates de bovidés.

criture osécaille 2Les inscriptions oraculaires gravées sur os ou sur écaille de tortue — plusieurs dizaines de milliers de fragments furent découverts à partir de 1899 dans la province du Henan, principalement à Xiaotun, petit village proche d’Anyang au nord du fleuve Jaune — sont les plus anciens vestiges de l’écriture chinoise que l’archéologie ait mis au jour. On les date du XIVe siècle avant notre ère, de l’époque où le souverain Pan Geng (1401-1372) y établit sa capitale.

L’ostéomancie consiste à interpréter les craquelures  que le devin fait apparaître sur la face externe d’une omoplate de cervidé ou d’une carapace de tortue en appliquant un tison incandescent sur un point de la face interne, les craquelures révélant les lignes de force de l’événement au sujet duquel la divination était pratiquée. À partir du XIVe siècle avant notre ère, les devins inscrivirent en colonnes verticales des logogrammes, après avoir interprété l’oracle, pour en noter la circonstance et le résultat.

jiaguwen, omoplate de boeuf, ©metropolitan museum

jiaguwen, omoplate de boeuf, ©metropolitan museum

Ci-dessous, un exemple sur carapace de tortue, datant du treizième siècle avant J.-C., milieu de la Dynastie Shang. On remarque que cette écriture est très “pointue” et constituée principalement de droites horizontales, verticales et obliques formant parfois triangles, rectangles, croix et autres.  Quelques rares traits sont légèrement incurvés, par exemple, en haut à gauche.

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criture chinoise, carapace de tortueLes anciens nous ont laissé cette carapace gravée (à gauche) dont les caractères figurent des objets familiers, des êtres vivants très stylisés ou des formes abstraites. Les experts ont traduit la plupart d’entre eux, mais certains n’ont pas encore dévoilé le mystère de leur origine ou leur sens. L’écriture est nettement plus arrondie que sur la première carapace. À ce stade, en effet, les graphies ne sont pas encore stabilisées et de nombreuses variantes pictographiques apparaissent d’une inscription à l’autre, mais il s’agit déjà d’un système d’écriture cohérent.

Les énoncés des oracles sont généralement très brefs – une dizaine de caractères environ – et la plus longue des inscriptions recensées en compte quatre-vingt-quatre. En général, ces énoncés contiennent la date, le nom du devin, celui du bénéficiaire, l’objet de la divination, puis la réponse. Les trois quarts du vocabulaire sont des noms de personnes ou des noms de lieux.
Pour un corpus d’un peu plus de 40 000 documents (datables du XIVe au XIe siècle avant notre ère), le lexique se limite à 4 672 graphies, dont près des deux tiers n’ont pas été identifiés.

DA ZHUAN 

(ou jinwen) : la grande sigillaire (entre la dynastie Shang, XVIIème s. av. J.-C. et la dynastie Qin, 221 ap. J.-C.) ou écriture du grand sceau ou encore écriture du bronze.

Zhou-dynasty-dazhuan-vessel-Taipei-Taiwan-National

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L’écriture da zhuan est également appelée jinwen (écrits de bronze). L’appellation sigillaire provient de zhuan, (incisés) qui signifie sceau en chinois et qui réfère à l’emploi passé et actuel de cette écriture. L’appellation jinwen vient du support sur lequel était gravé cette écriture. Elle est également connue sous le nom de zhoushu or zhouwen par allusion à son inventeur, Shi Zhou.

Dès l’âge du bronze, la civilisation chinoise s’est développée. La dynastie Zhou (XI ème s. av. J.-C.- 256 av. J.-C.) est une époque où rivalisent de nombreux penseurs : Lao Zi, Confucius (Kong Zi), Mo Zi… Le type d’écriture qui domine à cette époque est da zhuan ou grande sigillaire.

La technique de fonte et de moulage du bronze permet de fabriquer un grand nombre d’objets et de vases qui sont décorés d’inscriptions calligraphiées : ce sont pour nous les meilleures preuves de la formidable exubérance de la calligraphie da zhuan qui, d’un point de vue esthétique, est beaucoup plus évoluée que la précédente.

Ci-dessous, exemple le plus fameux parmi les plus anciens. On le trouve gravé au creux du vaisseau, le Xing hou gui, début de la dynastie des Zhou de l’ouest (1050-771 av. J.-C.). Ce bronze se trouve actuellement au British Museum à Londres.

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On trouve également cette écriture dans les gravures sur pierre. Les célèbres Inscriptions des Tambours de pierre, (Shiguwen) datées du IVème s. avant J.-C. Elles sont très abîmées, mais elles restent, parmi les oeuvres antiques les plus majestueuses. Il s’agit du plus ancien exemple connu d’écriture gravée sur pierre. Les grands poètes de la dynastie Tang (618-907) y puisent encore leur inspiration.

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XIAO ZHUAN

Petite sigillaire (221 av. J.-C. – 206 av. J.-C.) ou l’écriture petit sceau.

L’époque Qin est une période d’unification. La période des Royaumes combattants (403-256 av. J.-C.) sous la dynastie Zhou (XIème s.-256 av.J.-C.) s’est terminée par l’arrivée victorieuse du roi de Qin, Qin Shi Huang, qui va se proclamer le premier auguste empereur et sera le fondateur de la dynastie Qin (221-207av. J.-C.). Il réalise l’unification de l’écriture, de la monnaie, des poids, des mesures. Il avait pour principe : 《书同文,车同轨》 que l’on pourrait traduire par « Les livres de même écriture, mènent à la même voie ». Il charge Li Shi, son Premier Ministre, d’officialiser par décret un nouveau style de calligraphie le xiao zhuan, petite sigillaire, qu’il impose sur tout le territoire de son puissant empire fortement centralisé. Le Livre de Cang Jie (Cangjie pian 仓颉篇) était le recueil de caractères petit sceau composé par  Li Shi, il disparut sous la dynastie Tang, mais des fragments contenus dans d’autres textes ont permis de le reconstituer approximativement. Grâce à cette uniformisation, les différences d’écriture d’une région à l’autre ont été réduites.

Part of Taishan Stone Carving

partie de la pierre de Taishan, estampage.

La graphie de l’écriture xiao zhuan est plus abstraite, moins pictographique, que celle des styles antérieurs. Il s’agit principalement d’inscriptions officielles réalisées à l’occasion de rituels étatiques, comme les sacrifices aux divinités des montagnes, des fleuves, du ciel, etc. Par exemple ci-dessous, inscription solennelle en style «petite similaire », sur une dalle en céramique du palais Epang à Xianyang :

petite sigillaire, dynastie Qin

« Les sujets se pressent sur tout le territoire de l’empire, toutes les récoltes sont arrivées à maturité, puisse-t-il n’y avoir personne qui marche affamé dans les rues. »

On peut encore voir des caractères gravés de la main de Li Shi sur l’Inscription sur pierre de Taishan (mont Tai), dont une estampage des Song est conservée à Pékin, au musée de l’Ancien Palais (image à gauche).  Une autre stèle (ci-dessous), Yishan (mont Yi), est également gravée par Li Shi.

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Ci-dessous, tuile de terre cuite d’époque Qin destinée à orner la partie basse d’un toit. Sur la face extérieure, on peut lire l’inscription suivante : “Que du ciel descende la vertus, qu’elle dure dix mille ans et qu’elle fasse en sorte que règne la paix dans le monde”.

tuile terre cuite époque Qin

tuile terre cuite, époque Qin

Le style “petit sceau”, xiaozhuan, présente des traits nets et fins, de même épaisseur ; c’est une écriture harmonieuse et bien lisible, principalement utilisée pour la gravure des sceaux et des inscriptions lapidaires. Le style petit sceau a poursuivi son évolution sous la dynastie  Tang. Puis sous la Dynastie Qing, où ce style d’écriture avait la faveur des calligraphes.

L’ESTAMPAGE

Les reproduction des écrits gravés sont réalisées par estampage. Ce procédé a été utilisé en Chine dès l’époque Han pour multiplier les reproductions de bas-reliefs, stèles, dalles, etc. Une feuille de papier humidifiée est posée sur le monument en épousant les creux de l’original, et seules les parties en relief sont tamponnées d’encre épaisse. Lorsque la feuille et l’encre sont sèches, le papier est décollé et l’image apparaît non inversée en blanc. Le procédé contraire est également utilisé, lorsque les caractères ressortent par moulage. Le signe apparaît alors en noir.

 DES SIGILLAIRES A TRAVERS LE TEMPS 

Les sigillaires jouissent d’un renouveau depuis le XVIII ème siècle, en tant que calligraphies au pinceau.

Wang Shu (1688-1743)

Ci-dessous, calligraphie de Wang Shu, réalisée en 1729. La copie de calligraphie est un élément essentiel de sa pratique et n’est pas comme en Occident considérée comme un plagiat. Wang Shu, dans cette calligraphie, s’inspire des calligraphies de Yan Zhenqing (708- 785), poète et calligraphe, mais également homme politique d’abord préfet, puis gouverneur, ministre de la justice et précepteur du prince héritier. Il fut ensuite nommé duc de Lu.

Wang Shu (1688-1743), d'après Yan Zhenqing (709-785), 1729.

Wang Shu (1688-1743), d’après Yan Zhenqing (709-785), 1729.

 

Deng Shiru (1743-1805, Dynastie Qing)

Deng Shiru, sceauDèng Shírú était un calligraphe et graveur de sceaux, fondateur de l’école Wan de la gravure de sceaux.

 Ci-dessous, les caractères yi , “médecine”, et meng, “recouvrir”, écrits en petite sigillaire par Deng Shiru  réalisée en 1804.

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Ci-dessous, détail d’une calligraphie de Deng Shirou, conservée au musée de Shangaï, réalisée en 1781.

Deng Shiru, 1781, Shanghai_Museum_2006_10-34

Zhao Zhiqian (1829-1884)

Zhao Zhiquian (1829-1884) ,1872

Peintre de paysages et de fleurs, poète, Zhao Zhiqian excelle dans la calligraphie et la gravure de sceaux.  La calligraphie ci-dessous pourrait  se traduire de la manière suivante, de droite à gauche et de haut en bas : Une grande vertu vient de la patience / La sincérité provient d’un esprit libéré de la tromperie. Elle a été réalisée en 1872.

 

 

 

 

 

Zhao Zhiqian, 1867, Couplet

Zhao Zhiqian, 1867, Couplet

Wu Changshuo (1844-1927)

Ci-dessous, calligraphies de Wu Changshuo.

Ou, ci-dessous, du même auteur, le caractère “longévité”, écrit en petite sigillaire en 1923.

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Wu Changshuo (1844-1927) , XXème s.

Wu Changshuo (1844-1927) , XXème s.

Dans la calligraphie ci-contre, l’on voit une variante de l’écriture de Wu Changshuo. Les traits n’ont pas une épaisseur identique dans tout le signe. Le début des traits est plus appuyé que la fin, ce qui rend la calligraphie plus légère, plus variée et plus rythmée.

 

Qi Baishi (1884-1957)

Célèbre peintre, calligraphe et graveur de sceaux chinois du XXème siècle. Principalement influencé par Xu Wei, Zhu da, Shi Tao et Wu Changshao, Qi parvint à se forger un style propre en cherchant sans cesse à innover.

Ci-dessous, sceau gravé par Qi Baishi

sceau gravé par Qi Baishi

Le diptyque, réalisé en 1951, de deux fois quatre caractères est une formule de bons voeux à l’adresse de nouveaux mariés. A droite, pour le marié : “Vie longue (comme) le soleil qui perdure” ; à gauche, pour l’épouse: “Fleurs innombrables et belles (comme) la lune est parfaite dans sa belle rondeur.”

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Feng Kanghou (1901-1983)

Calligraphe, graveur de sceaux. S’établit à Hong-Kong en 1949, après l’instauration du régime communiste en Chine.

FENG KANGHOU (1901-1983) CALLIGRAPHY IN ZHUANSHU, 1976

FENG KANGHOU (1901-1983) CALLIGRAPHY IN ZHUANSHU, 1976

Il maintenait que seul un calligraphe qui pratiquait la calligraphie sigillaire pouvait maîtriser la gravure  des sceaux.

Feng Kanghou, 2 Couplets en six caractères, 1973

Feng Kanghou, 2 Couplets en six caractères, 1973

 

Huang Miaozi (1913-2012) 

huang miaozi, 3

huang miaozi 2Nom d’origine : Huang Zuyao. Il est connu en Chine comme caricaturiste, peintre, calligraphe, critique d’art et écrivain. Sa vie fut traversée par la guerre sino-japonaise et le communisme. Il fut déporté lors de la Révolution culturelle, puis prisonnier politique durant 10 années. Plusieurs de ses oeuvres sont conservées au British Museum à Londres.

 

 

 

Bibliographie

Billleter, Jean-François, L’art chinois de l’écriture, Ed. Skira, 1989

Chan, Hsiu-Ling, Pinondel,  Mille caractères dans la calligraphie chinoise, Ed. You Feng, 2006

Escande, Yolaine, Traités chinois de peinture et de calligraphie (traduction et commentaires), Klingsieck, 2003

Polastron, Lucien X., Calligraphie chinoise, Imprimerie Nationale, Editions 2011

Le Pavillon des Orchidées, L’art de l’écriture en Chine, collectif, Ed. Europalia international, 2009

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