Les objets du thé au Japon

objets du thé-Totoya Hokkei ( 1780–1850) Periode Edo © met museum

objets du thé-Totoya Hokkei ( 1780–1850) Periode Edo © met museum

Pour une cérémonie du thé, plusieurs ustensiles sont nécessaires, mais on ne considère pas ces objets comme simplement utilitaires ou comme objets de valeur d’un art ancien. Calligraphie, bouilloire, pot à thé, bol, cuillère à thé, fouet pour mélanger la poudre du thé vert (macha), etc. sont “comme un miroir dans lequel se reflète l’âme de l’hôte“. La haute qualité de l’artisanat dans la conception des ustensiles de thé saute aux yeux.  Tous les objets de la cérémonie du thé sont entretenus et manipulés avec une précaution et une précision exquises et sont scrupuleusement nettoyés avant et après chaque utilisation et encore une fois avant leur rangement. Certains des composants ne doivent être manipulés qu’avec des mains gantées. Les objets présentés seront d’époques et de provenances diverses, chacun d’eux pourrait donner lieu à tout un historique.

Les calligraphies
Wa-kei-Sei-jaku

Deiryû Kutsu,Wa-kei-Sei-jaku

Sen no Rikiû plaçait les calligraphies des maîtres zen, suspendues dans l’alcôve de la chambre de thé, au premier rang des instruments du thé. Cela reste vrai encore aujourd’hui.  C’est un des moyens les plus directs d’exprimer le thème spécifique d’une réunion de thé. Souvent, il s’agit d’une calligraphie, mais cela pouvait également être une peinture, ou une peinture accompagnée d’une calligraphie. Ces tracés du pinceau des grands maîtres du zen contiennent encore, malgré le passage des siècles, une énergie, une puissance capable de réveiller chez les invités une envie d’avancer sur la Voie du thé. Le Nambokoru déclare que : “Le sens de la calligraphie portée sur le rouleau découle de l’esprit de la personne qui l’a composée comme de l’esprit de celle qui l’a transcrite“. Ainsi, la connaissance de la vie et de la pensée du calligraphe importe autant que le sens effectif de la calligraphie. La calligraphie pouvait être la transmission d’une citation classique de la pensée du zen, un poème ou toute autre phrase appropriée. En plus de ces qualités artistiques, de sa taille, de sa forme et éventuellement de ses couleurs, le parchemin s’accordait en général avec la saison.

Concernant les calligraphies de la cérémonie du thé, un article à venir…

 Kama : les bouilloires

Toujours selon Sen no Rikiû, la kama devait occuper la deuxième place dans la hiérarchie des objets du thé, car elle reste présente tout au long de la cérémonie. Objets de grande valeur, les bouilloires de fonte japonaise font preuve de la créativité des maîtres fondeurs anonymes actifs du XIVème au XVIIème siècle. Ci-dessous,  Kama,  Pièce en fonte, de type Wakuzu en partie haute et Yozuku en partie basse. Couvercle en métal présentant une patine brun-rouge et un bouton de préhension ouvragé en forme de fleur.  De part et d’autre, elle présente un décor de feuilles de Paulownia, traditionnellement très utilisé comme emblème au Japon. Diamètre au plus large : 27 cm – Hauteur : 22 cm. Japon – Fin Edo, début Meiji, vers 1860

kama en fonte,1860

kama en fonte, fin Edo, début Meiji, vers 1860

 

Tetsubin : la bouilloire en fonte portable avec bec verseur

Ce type de bouilloire permettait de verser l’eau directement sur la poudre de thé et de ne pas employer l’écope. Si elle a la forme de nos théières actuelles, elle ne devait contenir que de l’eau, les tanins du thé provoquant la rouille de la fonte. Les bouilloires avec bec verseur sont postérieures aux marmites en fonte et datent, sauf erreur de notre part de 1750.

Ci-dessous, bouilloire en fonte, japon, période Taisho. Couverte en fonte, cuivre et argent formant branchages de fleurs et feuilles, et insectes.

Tetsubin - Couvertures de fer et de cuivre et d'argent Période Taisho (1911-1925)

Tetsubin – Couvertures de fer et de cuivre et d’argent Période Taisho (1911-1925)

Kakuzo Okakura, dans  Le livre du thé (voir ici), décrit avec des mots emprunts de lyrisme, le chant de l’eau dans la bouilloire : “Rien ne trouble le délicieux silence, si ce n’est la musique de l’eau qui bout dans la bouilloire de fer. La bouilloire chante bien, car on a pris soin de disposer, au fond, des morceaux de fer, de façon à produire une mélodie particulière où l’on peut entendre les échos, assourdis par les nuages, d’une cataracte, ou d’une mer lointaine qui se brise contre les rochers, ou d’une averse balayant une forêt de bambou, ou les soupirs des pins sur une colline lointaine.

Ci-dessous, quelques exemples de formes que peuvent prendre les bouilloires en fonte.

Cha-ire (茶入れ) : le pot de thé

Ils sont généralement utilisés pour le thé épais. Petits pots de céramique, soit chinoise, soit japonaise (il en existe de rares qui sont coréens), souvent entourés d’un sac de brocart de soie ou autre tissus (shifuku) dont les motifs sont dûment répertoriés et fermés par un couvercle d’ivoire patiné par des siècles d’usage respectueux, occupent la troisième place. Ils sont très souvent personnalisés et ont reçu un nom. Leur forme et leur couverte varient considérablement, suivant les caractéristiques propres à leur four d’origine, des glaçures fines et lisses de Tatakori (Kiûshû) à l’argile rougeâtre de Shigaraki, parsemée d’éclat de feldspath et de quartz, avec des couvertes naturelles de cendres de bois. Ci-dessous, cha-ire japonais ancien, en grès brun / noir à couverte lustrée émaillée noire avec  son bouchon en ivoire d’origine datant de l’ère Edo (1603-1868), en l’occurence du XVIIIe siècle.

chaire,Japon Edo (1603-1868) XVIIIe siècle.

chaire,Japon, Edo (1603-1868) XVIIIe siècle.

Natsume () : boîte à thé

Le natsume est nommé ainsi pour sa ressemblance avec le fruit natsume (la jujube). Il est court avec un couvercle plat, un fond arrondi, et il est habituellement fait de bois, laqué ou non, traité.

Ci-dessous, rare boîte à thé en laque d’or du Japon (urushi), imitant un pot en grès pour conserver le thé. Fond poudré d’or en aventurine, dit Nashiji. Imitation de coulées / glaçures des céramiques et d’un tissu noué à motifs en maki-e, de grues en vol sur un fond de damier. Hauteur : 8,7 cm. Japon Edo (1603-1868) fin du XVIIIe siècle

natsume ,laque d'or, japon, edo

natsume, laque d’or, japon, Edo, fin XVIIIème

Chawan (茶碗): le bol à thé

Cet élément est essentiel. On peut distinguer les bols selon leur provenance : Chine (karamono),  Corée (koraimono) ou  Japon (wamono). Ensuite, leur provenance spécifique (fours), le type de terre et de cuisson (porcelaine, grès, raku, etc), leur couverte (céladon, bleu blanc, etc) donne lieu à une nouvelle classification. Par ailleurs, il existe une large gamme de bols à thé, de tailles et de styles différents, selon qu’ils sont utilisés pour le thé fort ou le thé léger. Enfin, les saisons donneront lieu à des formes différentes. Des bols peu profonds, qui permettent au thé de refroidir rapidement sont utilisés en été ; des bols profonds sont utilisés en hiver.

reproduction, bol céladon,trésor national de Corée, XIIème siècle

reproduction, bol céladon,trésor national de Corée, XIIème siècle

bol raku noir chawan automne 2013, ©Leurs créateurs ou leurs possesseurs, ou encore un maître de thé donnent un nom poétique aux bols — ce nom conditionne en partie l’utilisation du bol en fonction de la saison ou de la circonstance occasionnant la réunion de thé. Des bols vieux de plus de 400 ans sont encore utilisés aujourd’hui, mais seulement dans des occasions spéciales et inhabituelles. Les meilleurs bols sont façonnés à la main et leur prix est généralement élevé. Les irrégularités et les imperfections sont prisées, et s’inscrivent dans le courant de pensée du wabi-sabi et sont souvent mises sur l’« avant » du bol. Ci-contre, bol contemporain en raku noir nommé “automne” réalisé en 2013 par Emmanuel Alexia. Pour plus de renseignements sur le raku voir ici.

 

Ci-dessous, estampe de Hokusai présentant quelques objets de la cérémonie du thé. On y voit un chawan et un pot à thé en porcelaine décorée, ainsi que le chakin et une bouilloire à bec verseur en fonte. La nature morte est assez rare chez Hokusai. En ce qui concerne plus particulièrement la céramique et le thé, ces deux éléments sont abordés de façon relativement secondaire dans l’œuvre de Hokusai, comme élément de décor dans ses scènes réalistes et en particulier dans ses scènes d’intérieur.

hokusai, la céramique de soma-univ wisconsin-madison

Hokusai, bol et boîte à thé, céramique, bouilloire et étoffe

 

Chakin (茶巾) : la toile pour le thé

Il s’agit de la toile blanche et rectangulaire de lin ou de chanvre utilisée pour le rituel du nettoyage du bol.

Fukusa (袱紗)

Carré de soie utilisé pour le nettoyage symbolique de l’écope et du natsume ou cha-ire, et pour manipuler le couvercle de la bouilloire chaude (sauf dans certaines conditions, les hommes sont censés manipuler ce dernier à mains nues, école Urasenke !). Le fukusa est parfois utilisé par les invités pour protéger les ustensiles du thé lorsqu’ils les examinent (habituellement, ce fukusa est particulier et est appelé kobukusa ou petit fukusa. Ils sont plus épais, à motifs, et souvent fortement plus colorés que les fukusa normaux. Les kobukusa sont gardés dans un kaishi (une valise) ou dans la poche de poitrine du kimono.)

objets du thé-Totoya Hokkei ( 1780–1850) Periode Edo © met museum

objets du thé-Totoya Hokkei ( 1780–1850) Periode Edo © met museum

Dans l’estampe de Totoya Hokkey  ci-dessus, l’on voit parfaitement, en bas à gauche, le fusaka et au-dessus, le chakin, les deux étoffes employées pendant la cérémonie du thé.

Hishaku (柄杓) : l’écope

 

chishakuLongue louche en bambou possédant un nodule au centre du manche. Elle est utilisée pour transférer l’eau du et vers les pots en fer et les récipients d’eau fraîche. Il en existe de différents styles utilisés pour différentes cérémonies, mais aussi pour différentes saisons. Un style plus large est utilisé pour le rituel de purification suivi par les invités avant d’entrer dans la salle du thé.

hishaku

 

Chashaku (茶杓) : spatule à thé

Il s’agit de l’écope à thé sculptée à partir d’une seule pièce de bambou. Celle qui est destinée aux préparations les plus courantes posséde un nodule approximativement en son centre. Selon les préparations, on peut en utiliser ayant d’autres formes (avec un nodule à la base, voire en ivoire d’un seul tenant). Elle est utilisée pour transférer le thé de la boîte à thé au bol à thé et porte comme le bol un « nom poétique » conditionnant son utilisation de façon similaire.

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Chasen (茶筅) : le fouet 
chasen top and side view

chasen en bambou blanc

Les fouets à thé permettent de mêler la poudre verte du thé matcha à l’eau prélevée dans la bouilloire afin d’obtenir “la mousse de jade liquide”. Ils sont sculptés dans une seule pièce de bambou. Les vieux chasen abîmés sont simplement jetés ou brûlés. Une fois dans l’année, généralement en mai, ils sont pris dans les temples locaux et brûlés lors d’une simple cérémonie appelé chasen koyō, qui exprime le respect avec lequel sont traités les objets de la cérémonie du thé. Le chasen ci-dessus, est en bambou blanc, il en existe également en bambou pourpre.chasen en bambou pourpre

Mizusachi : la jarre à eau 

Au cours de la cérémonie du thé, cette jarre contient l’eau qui sert à nettoyer le bol à thé et à remplacer l’eau de la bouilloire. Les formes de ces récipients sont variées et peuvent évoquer une saison par exemple.

Chabana : les fleurs pour le thé

Concernant la ou les fleur(s) disposée(s) dans le tokonoma (alcôve) qui accompagne(nt) la calligraphie, nous renvoyons le lecteur à notre article sur le chabana.

Nous terminerons cette présentation des objets du thé en faisant une remarque sur leur harmonie et laisserons la parole, une fois de plus à Kazuzo Okakura : “Les divers objets qui participent à la décoration d’une pièce devraient être choisis de façon qu’aucune couleur ou dessin n’y soit répété. Si vous mettez une fleur vivante, tout tableau de fleurs est de ce fait même interdit. Si vous vous servez d’une bouilloire ronde, que le pot à eau soit rectangulaire; une tasse d’émail noir ne devrait jamais voisiner avec une boîte à thé de laque noir”.

Bien lointaine des services à thé occidentaux, une harmonie dépareillée, donc.

 

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