Corée, la porcelaine blanche Joseon

Coupe à vin, porcelaine blanche, H. 4 cm. xve siècle. Musée national de Corée

Coupe à vin, porcelaine blanche, H. 4 cm. xve siècle. Musée national de Corée

Au commencement de la période Joseon (1392-1897), inspirés par la porcelaine Yuan et Ming venant de Chine, les potiers coréens parvinrent à produire de la porcelaine à pâte dure. Il fallait une cuisson à très haute température (1300°C ou davantage) pour que le processus de transformation de la matière soit complet. La porcelaine dure ainsi obtenue était extrêmement solide et d’une blancheur lustrée de toute beauté. D’une grande technique, ces porcelaines sont caractérisées par une élégance de formes sans prétention, simple et pure, à la fois austère et sensuelle.

Corée, Joseon, Porcelaine blanche, vase,XVIII-XIX S., British Museum

Corée, Joseon, Porcelaine blanche, vase, XVIII-XIX S., British Museum

Vers 1460, la cour royale entreprit la construction de fours officiels appelés bunwon.  La porcelaine était destinée à la cour royale Joseon et était produite dans les fours officiels de Gwangju dans la province de Gyonggi (près de l’actuel Séoul), sous le contrôle du Sanggwon, l’administration en charge de l’approvisionnement en nourriture pour le roi et sa cour. Les fours officiels fonctionnèrent jusqu’en 1880 où il se privatisèrent. Dès le XVI ème siècle, la porcelaine blanche ne fut plus seulement l’apanage de la cour et d’un petit nombre de privilégiés : des fours régionaux s’ouvrirent dans toute la péninsule coréenne pour satisfaire une demande explosive en porcelaine blanche, mais la qualité des produits fut moindre que dans les fours officiels. En effet, la porcelaine des débuts témoigne d’une grande maîtrise de réalisation, avec des formes amples rappelant celles de l’ancienne tradition du métal. Ses lignes raffinées, aux élégantes surfaces à la couverte blanche — parfois légèrement bleutée dans le Joseon tardif —  procure le sentiment d’une évidente simplicité et d’une pureté tranquille.

Bouteille. Porcelaine blanche de la période Joseon, H. 36,2 cm. xve siècle. Musée national de Corée. Trésor national N° 1054

Bouteille. Porcelaine blanche de la période Joseon, H. 36,2 cm. XVe siècle. Musée national de Corée, Trésor national.

Ci-dessus, bouteille au profil galbé et aux lignes délicates, caractéristique de la porcelaine blanche Joseon. L’ouverture évasée aux bords arrondis se rétrécit au niveau du col pour ensuite dessiner les courbes sensuelles de la partie inférieure. Le centre de gravité en bas de la pièce lui donne un aspect stable, un équilibre rehaussé par un large socle. La raffinement du modelage de la base est typique de la porcelaine des XVème et XVIème siècles. Une fois que le pied du vase était nettoyé, celui-ci était placé sur du sable fin et mis au four. Ci-dessous, petite jarre du XVIème siècle.

Jar, Joseon, XVIèS., Corée, 5,2 cm x 3,5cm cm British Museum

Jarre, Joseon, XVIèS., Corée, 5,2 cm x 3,5cm cm, British Museum

Une esthétique confucéenne

Il faut savoir que les lettrés fondateurs de la dynastie Joseon estimaient que la porcelaine blanche incarnait l’esprit et l’âme du confucianisme. Deux aspects de la vie humaine sous-tendaient cette philosophie : le perfectionnement moral de l’individu et les relations humaines avec le corps social. Le chemin du perfectionnement moral passait par quatre étapes : l’introspection continuelle, le développement  et le perfectionnement de la vertu; l’importance de la bienveillance et l’observation attentive de son comportement dans la solitude. Ces idéaux, pensait-on, pouvaient être visualisés dans la blancheur pure et dans les formes majestueuses et pourtant simples de la porcelaine monochrome. Modestie et frugalité  définiraient assez bien les formes de la blancheur immaculée de la porcelaine blanche Joseon.

Corée, Joseon, porcelaine blanche, bol d'offrande, XVIII-XIX S.

Corée, Joseon, porcelaine blanche, bol d’offrande, XVIII-XIX S., British Museum

Cérémonies et rituels

Sous la dynastie Joseon, l’idéologie dominante, le néoconfucianisme, accordait une grande importance aux cérémonies, aux rituels et au décorum. Loin des tendances ou des engouements populaires, l’esthétique et la qualité de ces récipients rituels devaient obéir à des codes très stricts. En effet, ces pièces n’étaient pas destinées à l’usage quotidien ni même à la décoration. Ci-dessous, coupe rituelle du XVIème siècle, employée lors de rites confucéens.

Corée, Joséon, porcelaine blanche, XVIès., coupe, Metropolitain Museum

Corée, Joséon, porcelaine blanche, XVIèS., coupe, Metropolitan Museum

La cour royale a toujours considéré la production de porcelaines pour les rituels comme une priorité, même en temps de guerre lorsque les conditions étaient difficiles. Notamment, plusieurs rites destinés aux ancêtres et cérémonies propres à la cour furent réorganisés pour devenir “Les cinq rituels d’État” : rituels agraires et dédiés aux ancêtres; rituels bénéfiques pour l’État ou la cour royale; cérémonies d’accueil des émissaires étrangers; cérémonies militaires (y compris les tirs à l’arc et les revues militaires); rituels funéraires et de deuil à la mort d’un des membres de la famille royale. La plupart de ces rites recouraient à l’utilisation de récipients en céramique, parfois également en bois ou en métal, comme par exemple, les urnes à placenta ci-dessous.

Ensemble d'urnes à placenta, tablette à épitaphe, Joseon, vers 1485, Musée National de Corée

Ensemble d’urnes à placenta, tablette à épitaphe, Joseon, vers 1485, Musée National de Corée

Le placenta et le cordon ombilical d’un prince ou d’une princesse étaient considérés comme sacrés, aussi étaient-ils embaumés dans ce type d’urne rituelle. Ces vaisseaux  forment une paire, ils ont chacun quatre poignées au niveau de l’épaule qui permettait de sécuriser la fermeture du couvercle de l’urne avec une ficelle. Le placenta et le cordon ombilical étaient placés à l’intérieur du petit récipient qui était ensuite enfermé dans le plus grand. La tablette épitaphe qui les accompagne indique que les jarres contiennent le placenta et le cordon ombilical de la princesse Hapwan, la fille du roi Seongjong (règne 1469-1494), et qu’ils furent inhumés en 1485.

Corée, Joseon,vaisselle rituelle, XVIII-XIXèS- Musée national de Corée

Corée, Joseon,vaisselle rituelle, XVIII-XIXèS- Musée national de Corée

Un grand nombre d’accessoires rituels furent produits pour les cérémonies à la cour royale, dans les administrations et les écoles confucéennes régionales. Leurs formes s’inspiraient parfois des antiques objets en métal datant de l’époque du bronze en Chine. Mais, le plus souvent, les porcelaines utilisées pour les rites ordinaires destinées au ancêtres ressemblent aux vaisseaux utilitaires, avec pour seule différence une base surélevée. La plupart des plats rituels sont ronds ou quadrilatéraux, selon leur fonction, comme par exemple les brûleurs d’encens et bols appelés sijeop, dans lesquels on posait une cuillère et des baguettes aux cours des rituels pour les ancêtres.

figurines funéraires, Corée, Joseon, XVIèS. , Musée national de Coré

figurines funéraires, Corée, Joseon, XVIèS. , Musée national de Corée

Peu après la fondation de la dynastie Joseon, on se mit à produire des objets pour compléter les rituels funéraires et de deuil confucéens. Ces porcelaines étaient enterrées avec le défunt, afin de lui assurer un passage sans problème dans l’autre monde. Il s’agit en général de miniatures d’objets de la vie quotidienne (bols, plats, boîtes et jarres) et de figurines représentant des personnes ou des animaux accompagnés d’une tablette épitaphe de porcelaine ou de pierre.

Ensemble d’objets funéraires en porcelaine blanche, XVIe siècle (Musée national de Corée) @Myu-Ri

Corée, Ensemble d’objets funéraires en porcelaine blanche, Joseon, XVIe siècle (Musée national de Corée)

Les jarres de lune : symbole de l’abondance 

La “jarre de lune” est un objet emblématique en porcelaine banche destinée à la cour royale de la période Joseon.

Jarre de lune. Porcelaine à glaçure blanche. Dynastie Joseon. XVIIIe siècle. H. 47 cm. British Museum

Jarre de lune. Porcelaine à glaçure blanche. Dynastie Joseon. XVIIIe siècle. H. 47 cm. British Museum

A la fin du XVIème  et au XVIIème siècle, la production de porcelaine eut à souffrir, tant du point de vue de la qualité que de celui de la quantité, des conséquences terribles de la guerre d’Imjin (une série d’invasions japonaises qui avaient pour but d’envahir la Chine en passant par la Corée, 1592-1598) et de la deuxième invasion mandchoue (1636-1637). Même si le Japon n’avait pas atteint son objectif qui était la conquête de la Chine, il se tira de cette guerre sans grandes pertes et avec même des avantages. Ses soldats ramenèrent au Japon des potiers coréens qui furent à l’origine du renouveau de la céramique japonaise. Ils emportèrent dans leurs fourgons de grandes quantités d’ouvrages chinois et coréens. Le lettré Kang Hang, prisonnier des Japonais, introduisit le néo-confucianisme au Japon. Les Japonais rapportèrent également de leurs campagnes dans la péninsule la technique de l’imprimerie. Des milliers des meilleurs artisans (céramistes, papetiers, etc.) furent tués et des fours furent détruits. Alors que le pays se remettait lentement et que les fours officiels rallumaient leur feux, des nouvelles formes en porcelaine blanche ont émergé, comme la “jarre de lune”, dont la popularité atteignit son apogée au XVIII ème siècle sous les règnes des rois Yeongjo et Jeongjo.

Jarre de lune du xviie siècle. H. 41 cm. Musée national de Corée. Trésor national N° 310

Jarre de lune du XVIIe siècle. H. 41 cm. Musée national de Corée. Trésor national N° 310

Ces grandes jarres sphériques ne pouvaient être fabriquées d’un seul tenant sur la roue du potier ; les deux hémisphères, haut et bas, étaient donc tournés séparément, puis joints au centre. Les “jarres de lune” ne sont donc pas des sphères parfaites  — souvent la ligne d’assemblage des deux moitiés se devine —  mais cette imperfection, plus réaliste et plus naturelle, leur confère un aspect organique et mystérieux qui sied parfaitement à la lune. Larges et hautes d’environ 40 à 50 cm, leurs irrégularités et leur asymétrie « étaient considérées comme autant de traces de la force des choses, du désir de la nature d’imprimer sa marque, et il était du devoir de l’homme de ne jamais entraver son cours”. Par ailleurs, la forme unique de chacune d’elles les distingue de la symétrie normée et des lignes au cordeau des céramiques chinoises, ainsi que des premières porcelaines Joseon et des récipients rituels.

Jarre de lune du XVIIIe siècle. Musée national de Corée. Trésor national.

Jarre de lune du XVIIIe s. Musée national de Corée. Trésor national

Le nom de “jarre de lune” a été attribué à ce type de jarre du fait de sa ressemblance avec la pleine lune. Elles servaient à stocker riz, sauce soja, alcool ou recevaient une brassée de fleurs. L’esthétique non conventionnelle des jarres de lune incarnerait l’abondance.

jarre de lune, XVIIIème s. Musée national de Corée,

jarre de lune, XVIIIème s. Musée national de Corée

Au fil du temps, des motifs apparurent, peints au bleu de cobalt, au brun de fer ou au rouge de cuivre, mais cela fera l’objet d’un autre article.

Pour d’autres articles sur l’art de la Corée voir :

Lee Ufan (2) : les peintures

Lee Ufan (1) : des pierres et du métal

 

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