Sous la dynastie Song, le confucianisme ambiant avait créé une classe de lettrés qui s’adonnaient à des passe-temps raffinés telles que le poésie, la musique, la calligraphie et la culture du thé (cha wenhua). C’est à cette époque que s’organisent les concours de préparation et de dégustation pour identifier non seulement l’origine du thé mais également celle de l’eau utilisée. On se reçoit entre connaisseurs et on met en scène le thé en mettant en valeur ses accessoires qui évoluent en préciosité. Sous la dynastie Qing, la théière et le gaiwan (tasse recouverte d’un couvercle) apparaissent.
Ci-contre,Femme préparant le thé – Brique estampée – Dynastie Song (960-1219).
La culture du thé (cha wenhua) sous les dynasties Song (960-1279) et Yuan (1279-1368)

Tea Extraction (detail) 攆茶圖 (局部)
Sous la dynastie Song, le thé, qui reste toujours un monopole d’État, devient la boisson de prédilection et son usage se transforme peu à peu en rituel social. La culture du théier se développe particulièrement au Fujian dont la production à Jiangzhou gagne la faveur impériale. Le royaume de Beiyuan était aussi célèbre pour ses petits gâteaux de thé moulés avec un décor de dragons ou de phénix, méticuleusement préparés. Ces galettes n’étaient plus constituées de thé en feuilles compressées et parfois parfumée d’épices, mais contenaient en plus du riz ou de la farine de froment.

Seated_Portrait_of_Emperor_Song_Huizong.Taipei- National Palace Museum.tif
L’empereur Huizong (Hui Tsung) (1101-1125) écrit un traité Daguan Chalun ou Discussion sur le thé à l’ère Chagan (1107-1110) resté célèbre. Le Traité complet couvre absolument tout ce que les connaisseurs de cette période devaient savoir du thé depuis sa cueillette et son traitement jusqu’au moment où on le boit.
“La cueillette des feuilles doit commencer bien avant le point du jour et s’arrêter peu après. Il faut les détacher avec les ongles et non avec les doigts, de crainte d’en gâter la fraîcheur et le goût…Les feuilles les meilleures sont celles de couleur blanchâtre qui ont la forme de langues de moineau ou de grains de blé. L’idéal, c’est une feuille par tige ; deux feuilles par tige, c’est ce qu’il y a de mieux ensuite ; s’il y a plus de deux feuilles, le produit sera inférieur. ”
Pâle en couleur, parfumé et doux en bouche, telles étaient les qualités demandées par cet illustre connaisseur. En ces temps, les méthodes de préparation avaient changé. Les galettes de thé en poudre compacté étaient séchées au feu puis moulues et la poudre obtenue tamisée. L’auteur conseille d’utiliser une meule et un tamis en argent ainsi qu’une verseuse en or ou en argent. Le thé en poudre (sencha) était déposé dans un bol réchauffé à l’eau chaude dans lequel on versait une petite quantité d’eau bouillante jusqu’à obtention d’une pâte. On ajoutait le reste de l’eau et l’infusion était ensuite battue à l’aide du fouet en bambou flexible jusqu’à l’apparition d’une mousse blanche et légère qui devait se maintenir à la surface et en mordant le bol cacher le liquide. Lors des compétitions, c’est la persistance de cette écume qui désignait le vainqueur.
Le sel et les aromates sont écartés de la préparation et le thé est apprécié des connaisseurs pour sa seule saveur.

Réunion de lettrés sous les arbres, autour de l’empereur Huizong (1100-1126), au cours de laquelle du thé est servi aux convives. Musée national du Palais, Taipei.

Competition in the Tea Market (detail), by Liu Songnian, around 1190 A.D., Southern Song Dynasty, China.
Le thé sous forme de gâteau va être graduellement remplacé, particulièrement dans le sud de la Chine, par du thé en feuilles passées à la vapeur et aussitôt torréfiées. Les feuilles gardaient ainsi leur couleur naturelle et leur arôme. Le thé agrémenté de fleurs parfumées (hua cha) — casse, gardénia, jasmin ou lotus — devient aussi populaire même s’il est décrié par les connaisseurs. Pendant la dynastie Huan, sous l’influence des Mongols, de la crème, du lait ou des épices pouvaient même être ajoutés à la boisson. Vers la fin de la dynastie, la torréfaction immédiate des feuilles fraîches, et non plus de feuilles cuites précédemment à la vapeur, contribue à améliorer l’arôme et la saveur du thé.
La céramique
La culture du thé ne peut être dissociée des ustensile nécessaires à sa préparation. La popularité de cette boisson sous les Song favorise l’essor de l‘art céramique. La plupart des fours de Chine fabriquaient divers modèles de récipients dont les formes s’adapteront aux modes de préparation du thé et les officines de céramique, grâce au patronage de la Cour impériale, produisent une grande variété de grès et de porcelaine.

Conical Bowl with Peony Scroll and Leaves, Five Dynasties-Northern Song dynasty, 10th-11th century. Yaozhou ware
Les céladons du Nord, fabriqués à Yaozhou au Shaanxi, tirent leur originalité de leur motifs essentiellement floraux, profondément incisés ou moulés sous une couverte translucide. La verseuse est plus élégante de forme, avec un col élancé, une ouverture évasée et un long bec incurvé qui permet de contrôler l’écoulement de l’eau, étape importante dans la préparation du thé battu. Les bols, de tailles et qualités variées, ont une paroi de forme conique ou arrondie, au bord parfois lobé, mais sont tous caractérisés par une large ouverture. Ils étaient le plus souvent placés sur des supports en céramique, métal ou laque pour éviter le contact des doigts sur les parois chaudes. Les bols lourds à couverte brune striée « fourrure de lièvre » ou noir bleuté des fours de Jian’an dans la province de Fujian, étaient très prisés, car leur couleur mettent en valeur l’écume blanche et l’épaisseur des parois maintenait la boisson chaude.

Bol à décor fourrure de lièvre, dynastie Song (960-1279), grès à lustre métallique, Paris, musée Guimet
Sous la dynastie Yuan, l’industrie de la céramique se développe dans la ville de Jingdezhen et vont apparaître les premières porcelaines à décor en bleu de cobalt sous couverte, déclinées dans toutes les formes répertoriées alors.
L’art du thé sous la dynastie Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911)

Tea Time, by Chen Hongshou (Ming Dynasty)
L’utilisation du thé infusé va se développer sous la dynastie Ming. Sur ordre de l’empereur Hongwu (1368-1398) en 1391, les tributs en thé doivent être livrés à la Cour sous forme de feuilles et non plus de briques. Le thé en gâteau tombé en désuétude, certains ustensiles comme la meule, le tamis et le fouet vont disparaître. Un art du thé prônant la simplicité se développe
Dans ses « Commentaires sur le thé de maître Xu Ranming », Xu Cishu recommande une atmosphère de relaxation physique et mentale et de ne prendre cette boisson qu’avec des amis proches.
Les maisons de thé privées

Suzhou-China, pavillon de thé
Les amateurs de thé, aristocrates ou lettrés, disposaient de pièces ou de constructions spéciales où ils pouvaient se réunir dans une atmosphère parfaite pour boire du thé. Dans les maisons qui n’avaient pas suffisamment de terrain à consacrer à une maison de thé, on trouvait souvent une salle de thé dans la cour immédiatement à côté du bureau. du maître. Sensibles aux détails du lieu d’accueil où l’émotion pourra s’exprimer, les lettrés font construire dans leur jardin des pavillons dédiés au thé, sortes d’ermitages largement ouverts sur l’extérieur par des fenêtres ou des murs de bois repliables comme des paravents. Parfois, ces construction se trouvaient au milieu d’un étang ou d’un lac en miniature et l’on y accédait par un pont en zig-zag. Ci-dessus, un exemple à Su-zhou. De forme carrée, ronde, ou hexagonales, elles pouvaient avoir des avant-toits aux courbes fantaisistes supportées par des piliers en bois massifs.
Un autre genre de maison de thé , plus simple était caractéristique de l’idéal antique de sobre simplicité : un toit léger de chaume repose sur des minces poteaux de bois non-laqué ou de bambous, les parois sont faites d’un treillis de papier. Les meubles qu’elles contenait devaient être de caractère rustique utilisant bois naturels, bambou, rotin, racines d’arbres noueuses ou autres matières semblables. Pour s’harmoniser avec ce cadre, on choisissait de préférence un service à thé de terre cuite et non de porcelaine fine.

“Huishan tea party”, Wen Zhengming (Ming Dynasty)

moment du thé, Chen Hongshou (Ming Dynasty)
Un fourneau portable à charbon, une desserte pour les accessoires nécessaires, une table, des chaises suffisent à cet art du thé. Des poèmes et de nombreuses peintures de cette époque évoquent ces moments solitaires consacrés parfois à la musique ou ces réceptions amicales autour de tasses apportées par un serviteur dédié à cet emploi. Ci-contre, peinture représentant un momentde thé agrémenté de lecture et de musique dans l’intimité.
Quand boire le thé ?
Un manuel (Ch’a Shu) rédigé en l’honneur de l’empereur par Hsü Tzé-Shu (appelé aussi Hsü Jan-Ming) précise entre autres à quels moments boire le thé. Il est composé en 24 vers de 4 syllabes dont la traduction ne peut rendre compte. (cf. biblio, Blofeld )
- aux heures perdues
- lorsque la poésie vous ennuie
- que les pensées sont confuses
- lorsque l’on bat la mesure en écoutant chanter
- lorsque la musique s’arrête
- lorsque l’on vit retiré
- lorsque l’on jouit des passe-temps des lettrés
- en conversation tard dans la nuit
- lorsque l’on étudie par un jour de soleil
- dans la chambre nuptiale
- en retenant des hôtes de choix
- en recevant des lettrés ou des jolies filles
- lorsque l’on rend visite à des amis de retour d’un long voyage
- par temps superbe
- lorsque les cieux s’assombrissent
- lorsque l’on regarde les bateaux glisser sur le canal
- au milieu des arbres et des bambous
- lorsque les fleurs commencent à éclore et que pépient les oiseaux
- par de chaudes journées, près d’un étang à lotus
- en brûlant de l’encens dans la cour
- après que, énivrés, les hôtes sont partis
- lorsque les plus jeunes sont sortis
- pour visiter des temples retirés
- en contemplant des sources et des roches formant tableau.
De nombreuses occasions de boire du thé, donc! L’on remarquera cependant l’importance accordée au temps, à la compagnie ou à la solitude, et au cadre.
La céramique
La vaisselle pour le thé va prendre une importance nouvelle. Des bols sont choisis pour exalter la couleur, le parfum et la saveur de la boisson. De préférence de petite taille, ils permettent toute l’appréciation de l’arôme du thé. Xu Cishu mentionne dans Chashu, « Notes sur le thé », que les petits bols blancs, spécialement ceux de Ding difficiles à obtenir, sont les plus recherchés. Les petites tasses blanches du règne de Xuande (1426-1435) à la couverte « brillante et translucide comme le jade” seraient plus adaptées pour mettre en valeur la teinte du thé. Les bols en porcelaine bleu et blanc devaient avoir une forme parfaite.
Sous la dynastie Qing apparaît la tasse à couvercle (juzhong ou gaiwan) à large ouverture et pied resserré posée sur une soucoupe. Les feuilles y sont mises à infuser, le couvercle tout en maintenant la boisson chaude, fixe les senteurs et permet, en buvant, d’écarter délicatement les feuilles de thé.

Gaiwan » – Bol à couvercle en porcelaine « famille rose » au décor de litchis – Dynastie Qing – Règne de Baoguang (1820-1850)
Les formes et les matières se diversifient. Les bols et les tasses seront déclinés dans toutes les qualités de porcelaine avec des décors variés en « bleu et blanc », « famille verte » et « famille rose ».
La théière va devenir un accessoire indispensable ; celle de petite taille est préférée car elle garde l’arôme et le goût du thé. Les théière en argile pourpre (zisha) produites couramment à Yxing au Jiangsou dès le début du XVIème siècle sont réputées pour relever et maintenir les qualités de l’infusion de thé.
D’une élégante simplicité, elles gagnent la faveur des connaisseurs et des lettrés qui passent des commandes spécifiques aux artisans qui signeront leur oeuvre. La théière acquiert pour la première fois un statut d’objet d’art. Celles de Yixing seront si appréciées par leurs propriétaires qu’elles les accompagneront dans leur ultime demeure. Ces pièces seront également parmi les premières à être exportées en Europe au XVIIème siècle avec les caisses de thé par l’entremise des Hollandais. On les voit représentées sur des peintures de natures mortes.

Pieter Gerritz van Roestraten, Nature morte au service de thé, XVIIe siècle.
Les manufactures de Fujian avaient développé à cette époque une nouvelle façon de préparer les feuilles de thé. Celles-ci, au lieu d’être traitées à la vapeur dès leur cueillette, étaient laissées à flétrir et à légèrement fermenter avant d’être chauffées pour arrêter le processus de fermentation. Le thé obtenu, connu sous le nom de thé de Wuyi ou thé Wulong, était très apprécié par la clientèle européenne. Les tasses et soucoupes à motifs floraux ou figuratifs sont commandés et importés en masse par les diverses Compagnies des Indes orientales afin de satisfaire la demande croissante suscitée par ce nouvel engouement. Le thé devient en un siècle une boisson aussi populaire en Hollande, en France et en Angleterre qu’en Chine.
Pour un autre article sur le thé en Chine voir
Histoire et art du thé en Chine (1)
Bibliographie
Blofeld, John, Thé et Tao, L’art chinois du thé, Albin Michel, 1997 (trad.) EO 1985
Crick, Monique, L’art du thé en Chine, bulletin 68 de la Fondation Baur, Genève
Lu Yu, Le classique du thé (Chajing), Rivages poche, 2015
« Dans ses « Commentaires sur le thé de maître Xu Ranming », Xu Cishu recommande une atmosphère de relaxation physique et mentale et de ne prendre cette boisson qu’avec des amis proches. »
Au fond, le thé s’inscrit dans la problématique du temps. Le thé associé à sa préparation rituelle, s’entend. Pas celui, emprisonné dans une dosette que l’on jette dans un bol ou une théière.
Mais est-ce que l’on a besoin de temps pour le thé ou est-ce que le thé est un « facilitateur » de temps, du temps libéré de la durée, que nous vivons comme tel ?
Nous cherchons constamment des supports qui nous aident à gérer ce rapport avec le temps et la durée de notre vie.
Il y a des vecteurs de fuite, dans l’agitation, les addictions, l’horizontalité.
Et d’autres, qui invitent à l’arrêt pour la verticalité du sens.
L’amitié en est un.
Ce qui expliquerait son rapport avec le cérémonial du thé.
Merci pour ce commentaire.
Il est vrai que le thé est un arrêt dans le temps, le temps de le préparer et le temps de le boire. C’est un arrêt où la concentration, le calme au moins, et la joie de la dégustation permet de faire une pause dans l’horizontalité de ce qui défile, malgré nous, hors de nous parfois, dans l’automatisme des gestes ou dans la course des tâches à accomplir. Et la compagnie des amis, dans une discussion, dans un moment partagé permet cet arrêt également. C’est aussi, je pense, une question de choix, l’envie de faire une pause, de se poser pour savourer ce qui se passe ici et maintenant.En cela, oui, le thé est un “facilitateur” de temps, comme toute activité pleinement choisie, décidée et dans laquelle on s’absorbe…