KURAMATA : un mobilier post-moderniste

Kuramata portrait

Shiro Kuramata (倉俣 史朗) est né le à Tôkyô et décédé le 1 . Décorateur d’intérieur et designer, il créa lieux et objets, et ce sont ces derniers qui feront l’objet de ce premier article. Au 20e siècle, la soif moderniste  pour la simplicité japonaise et la pureté structurelle a fortement influencé le dogme fonctionnaliste : “la forme suit la fonction”. Dans les années 70, Kuramata rejoue le modernisme en flirtant avec les limites entre la forme et la fonction pour choisir l’ambiguïté. Les caractéristiques poétiques uniques de ses créations confirment leur caractère hybride entre art et design, transparence et solidité, unicité et pluralité. Kuramata voulait questionner les contraintes fonctionnelles par le jeu et ses créations restent en suspens dans un état de flottement incertain où des roses figées fleurissent à jamais.

Biographie

Shiro-Kuramata-by-Takayuki-Ogawa

Il a suivi les cours de la Tokyo Polytechnic High School, où il a étudié le travail du bois avant d’être diplômé en 1953. Il part ensuite étudier le design d’intérieur à la Tokyo’s Kuwazawa Institute for Design, jusqu’en 1956. En 1957, Kuramata commence à travailler pour un magasin de Tokyo appelé San-Ai, où il conçoit les vitrines. Il travaille ensuite brièvement comme designer freelance pour la plus importante entreprise de vente, Matsuy, avant de fonder son propre studio de design en 1965, le Kuramata design Office. Au cours des années 1970 et 1980, Kuramata travaille comme architecte d’intérieur et designer de mobilier. Proche du designer italien Ettore Sottsass qui le fit découvrir au-delà des frontières japonaises, Shiro Kuramata participe au Groupe de Memphis pour lequel il dessine quelques meubles. Il crée également des boutiques pour Issey Miyake à Paris, Tokyō et New York. En 1988, Kuramata s’installe à Paris où il fonde son atelier de design. Il est fait chevalier des Arts et des Lettres en 1990. Reconnu comme un des plus grands designers du XXème siècle, ses créations font désormais partie des collections des grands musées (Moma à New York ou Musée des Arts décoratifs et Centre Pompidou à Paris, par exemple).

La production de Shiro Kuramata est essentiellement constituée de séries limitées et rares.

Commode “Pyramide” (1968)

La préférence de Kuramata allait au plexiglas dont il appréciait l’ambiguïté : chaud comme le bois, froid comme le verre. Cette pyramide est l’un des premiers exemples des « Objets-Design » , terme utilisé par l’artiste Katsuhiro Yamaguchi dans un essai sur Kuramata. Particulièrement avant-gardiste, elle est entièrement en acrylique et contient des tiroirs qui semblent flotter, surtout placée contre un fond blanc. La structure transparentes s’efface afin de ne garder que ces blocs noir.

kuramata, revolving-cabinet, 1970

La commode Revolving cabinet

éditée par Cappellini , en 1968, est en acrylique poli rouge et équipée de 20 tiroirs pivotants sur une barre verticale en métal. Telle une sculpture domestique évolutive, sa forme est en perpétuel changement selon la position des tiroirs. Une façon ludique, étonnante et particulièrement originale de ranger des accessoires de bureaux ou tous les menus objets qui trainent dans la maison.

Revolving et Pyramide jouent également sur le modulable, l’un et le pluriel, pouvant avoir une apparence différente selon les postions que prennent les tiroirs. Entre sculpture et meuble, art et design, ces oeuvres reformulent les rapports entre fonction et décoration.

Commodes Side 1 / Side 2 (1970), Cappellini

Reprenant l’esthétique de la pile, les commodes « Side 1 » et « Side 2 »  font preuve de légèreté, grâce à des lignes onduleuses et épurées. Editée par Cappellini, la commode « Side 1 » à gauche présente des lignes sinueuses dont les boutons de tiroirs en acier marquent le déplacement en pointillé. Cet empilement semble précaire comme sur le point de céder à la gravité. A droite, la commode « Side 2 » possède une esthétique dépouillée à l’extrême, soulignée par une simple bichromie en noir et blanc. Le rythme est apporté par la répétition d’un même motif, le tiroir.

Furniture with drawers, 1970

La variation de taille de 49 tiroirs va à l’inverse de l’idée pratique du tiroir conventionnel, Kuramata a tenté de leur attribuer une nouvelle fonction : un coffre à tiroirs pour « trouver des rêves ». Il a remarqué qu’à chaque fois qu’il ouvrait un tiroir, il ne trouvait jamais ce qu’il s’attendait à voir, comme dans un rêve.

Bibliothèque, 1970

Kuramata_Bookshelf

Shiro Kuramata dessine pour Cappellini cette bibliothèque ouverte des deux côtés et composée de panneaux en MDF laqué blanc. Dans un carré surdimensionné, le designer a créé des compartiments dont toutes les tailles sont différentes. Cette originalité crée un rangement graphique qui impose sa personnalité dans un salon tout en étant fonctionnel.

Ghostlamp, 1972

Hommage à Mondrian, 1975

Deux meubles de rangement inspirés de l’art abstrait du peintre hollandais Piet Mondrian. Shiro Kuramata dessine ces deux rangements design équipés de portes et de tiroirs laqués en deux assortiments de couleurs et montés sur des roulettes en caoutchouc. Ils reprennent les caractéristiques des oeuvres graphiques du peintre. Ces meubles sont des pièces de caractère qui imposent leur personnalité dans une pièce et dissimulent à l’intérieur, des niches et des tiroirs pour accueillir et protéger des objets  pour laisser place à des oeuvres abstraites.

 Glass Chair (1976)

Solaris (1977)

Conçu à l’origine comme «Meuble sur quatre pieds», le designer a finalement choisi «Solaris» comme titre de cette œuvre, nommée ainsi en hommage au célèbre film de science-fiction de 1972 du réalisateur russe Andreï Tarkovski. Le film articule des considérations proches de celles du créateur, en particulier les thèmes qui invoquent le subconscient avec des souvenirs sonores et oniriques. Reconnaissant que ses propres créations étaient très souvent la conséquence de son propre subconscient, Kuramata a identifié les multiples tiroirs du meuble comme étant emblématiques de la rétention, voire de la protection, de la mémoire. Élevé sur quatre montants allongés surdimensionnés, le cabinet devient un vaisseau monolithique, presque totémique, pour la préservation d’un mystère puissant. En bois peint et métal, piétement en aluminium anodisé
Hauteur : 156 cm.  ; Largeur : 140 cm. ; Profondeur : 82 cm.

Sofa With Arms (1982)

Le dossier simplement relié à l’assise par la structure tubulaire laisse à penser qu’elle flotte dans les airs. Le contraste des formes entre la rondeur du dossier et la géométrie du coussin d’assise est surprenante.

Kuramata, cabinet Nikko, 1982

Nikko

Le cabinet Nikko, en bois et métal laqués a été manufacturé par Memphis en 1982. Edité à 11 exemplaires. Taille : 175 x 57 x 57 cm.

Chair A (1983)

La structure de cette chaise est en acier chromé et seuls les accoudoirs soutiennent l’assise en tissu afin de créer une impression de flottement à l’arrière. Rarissime, elle était utilisée dans la salle de réunion de Yamagiwa à Tokyo.

Kyoto, 1983

Ce guéridon est composé d’un mélange de ciment et de fragments de verre coloré, appelé aussi terrazzo. Il fait partie de la collection Memphis, le collectifs rejoint par Kuramata suite à l’invitation de Sottsass. La forme et les couleurs rappellent le style Memphis mais son procédé de fabrication est totalement différents des autres meubles Memphis, principalement en stratifié avec des motifs en répétition. La répartition des morceaux de verre lors de la fabrication est totalement aléatoire, chaque pièce est donc unique.

Three-legged chair, 1983
Manufacturée par Ishimaru Co., Ltd, au Japon en 1983, en acier chromé et siège en chêne, cette chaise défie, à sa manière, les lois de la pesanteur et de l’équilibre.
Dimensions : 44 × 61 × 86 cm

 

Sedia Seduta , 1984

Une grosse caisse noire lourde interrompue par deux plans rectangulaires dynamiquement jaunes, qui construisent le dossier et l’assise, soutenus par deux pieds minces en acier. D’une part, cette construction de base de la chaise rappelle la forme cubique de la Glass Chair fabriquée huit ans auparavant, et d’autre part Sedia Seduta semble représenter l’opposition diamétrale de la Glass Chair. C’est visuellement magnifique, lourd et plein d’humour.

Fauteuil Sing Sing Sing, 1985

Une assise qui se déroule en apesanteur et qui joue sur les oppositions de solidité et évanescence, de rigidité et de souplesse, de transparence et de masse…

Table Twilight Time (1985), XO

Expanded metal Chair ((with arms) , 1986

Ce fauteuil a été présenté lors d’une exposition de Kuramata en 1986, au Idée Shop au Japon. Le treillis métallique enveloppe les piètements en acier et est soudé sur le dessous afin d’effacer l’assise et le dossier, comme une surface en train de disparaitre.

Table Ko-Ko, 1986

Cette table en frêne noir ornée d’un tube en acier chromé a été éditée par XO en 1986 puis par Cappellini de 1987 à aujourd’hui.

Fauteuil How High the Moon (1986), vitra

Pour ce fauteuil, nommé d’après le célèbre morceau de jazz, Kuramata a réussi à créer une pièce entièrement en treillis métallique. Recherche de transparence et d’immatérialité, physiquement et visuellement léger, il n’en reste qu’une forme que le vent peut traverser, qui existe et qui n’existe pas en même temps. Ce design est considéré comme l’un des plus grands du style minimaliste et probablement le plus iconique de Kuramata.

Fauteuil Miss Blanche (1988)

En résine acrylique, aluminium anodisé et fleurs artificielles, ce fauteuil joue sur la transparence et la lévitation. Un design du “monde flottant” assez poétique qui laisse un peu dubitatif sur le confort… mais qui aurait été inspiré du chemisier orné de roses rouges de Vivian Leigh dans “Un tramway nommé désir” .

Sealing of the roses, 1989

Cette inclusion ou “scellage” en acrylique fait partie des essais de Kuramata pour son fauteuil Miss Blanche, qui est l’une de ses créations les plus emblématiques avec le fauteuil How High The Moon. Cette pièce résume parfaitement le travail de Kuramata : sa relation avec la gravité et le flottement dans l’air qu’il n’a cessé de poursuivre tout au long de sa vie. Les plumes et les roses rouges flottant harmonieusement et éternellement dans l’acrylique créent une sensation de plaisir esthétique profond.

Flower vase, 1989

Ce soliflore a été dessiné pour son exposition à la Galerie Yves Gastou, à Paris en 1988. Très minimaliste, il est composé d’un bloc en acrylique et d’un vase en acier anodisé coloré.

En conclusion

Pour conclure, quelles sont les histoires  que nous racontent les oeuvres de Kuramata ? Un fil continu traverse les pièces elles-mêmes : la dématérialisation. «Mon désir le plus fort est d’être libre de toute gravité, de toute servitude. Je veux flotter», a déclaré Kuramata, et cette approche imprègne son objectif de travail d’une sorte de recherche spirituelle. Les tentatives de Kuramata pour défier la gravité trouvent des expressions formelles dans des matériaux transparents comme le verre, l’acrylique et le treillis en acier expansé, et dans l’expérimentation de l’incorporation de la lumière. Dans ces matériaux, il explore les frontières entre la légèreté et la gravité, et entre le matériau et l’immatériel; ces limites vibrent dans sa conception et produisent une atmosphère calme et contemplative. Il introduit, comme l’écrivait si justement son ami italien le designer Ettore Sottsass, « un état de suspense permanent ». En quête de spiritualité, Kuramata conceptualise, par le design, l’immatériel et l’invisible, l’un et le pluriel.

Pour d’autres articles sur le design japonais voir

Muji : une marque sans marque

Isamu Noguchi (1) : les meubles et les luminaires

Nendo : un design entre minimalisme et détournement

 

 

2 commentaires sur « KURAMATA : un mobilier post-moderniste »

Laisser un commentaire