Tsutsugaki : textiles indigo du Japon

Tsutsugaki-kimono, Kimono pour la nuit (yogi). Motif Sotestu (arbre japonais) et chiens occidentaux, Japon, toile de coton, tsutsugaki, 158,1 x 145,1 cm.

Tsutsugaki-kimono, Kimono pour la nuit (yogi). Motif Sotestu (arbre japonais) et chiens occidentaux, Japon, toile de coton, tsutsugaki, 158,1 x 145,1 cm.©Yasuhiro Kobayashi

Art du textile datant probablement de l’époque de Muramachi (1336-1573), ayant connu son apogée à l’Epoque Edo (1603-1868), les tsutsugaki tirent leur nom de la technique employée pour leur fabrication. Par la suite, le terme  désignera tout objet réalisé à l’aide de cette technique. Sous l’ère Meiji (1868-1912), avec la modernisation du Japon et l’arrivée de procédés de fabrication ou de teintures industrielles, ce savoir-faire ancien décline lentement avant de quasiment disparaître après la Seconde Guerre Mondiale. Il ne reste actuellement que quelques artisans conservant le savoir-faire nécessaire au « tsutsugaki« . Il faut attendre, à la fin des années 1930, le regard de Sôetsu Yanagi, créateur de la notion mingei (« art populaire »), pour que soit reconnue au tsutsugaki sa valeur proprement artistique.

Deux découvreurs : Soetsu Yanagi et Foujita 

Les plus anciens témoignages sur cet art remontent au XVIème siècle, mais jusqu’au XXème siècle, les japonais considérèrent les tsutsugaki comme des objets banals auxquels on ne prête aucune attention. Le premier à avoir apprécié leur valeur, Soetsu Yanagi (1889-1961) — qui revalorisa les arts populaires japonais (cf. notre article sur lui et le mouvement mingei) — présente dans son livre La voie de l’artisanat (1928) le furoshiki d’Okinawa. La technique du tsutsugaki y est appelée bingata. C’est seulement en 1936, dans la revue Kogei (Artisanat) que Yanagi et Keisuke Serizawa (1895-1984), teinturier, considèrent que les tsutsugaki peuvent être appréciés en tant qu’oeuvres d’art. A l’époque, Yanagi utilise les termes de wazome (teinture japonaise) et somemono (objet teint). C’est plus tard, dans un article sur le tissage et la peinture, publié dans Le thé et la beauté (1941), qu’il emploie le terme de tsutsugaki. Entre l’avant-guerre et l’après-guerre, le mot se généralise et désigne à la fois la technique et les oeuvres, et c’est à ce moment-là que les japonais commencent à s’y intéresser.

Ci-dessous, détail d’un futon monté sur paravent.

Tsutsugaki, Futon, détail

Dans les mêmes années, le peintre Tsuguharu Foujita (1886-1968) a lui aussi su apprécier les tsutsugaki. Le futon (dessus de lit), décoré d’ustensiles  pour la cérémonie du thé, qu’il accrochait au mur chez lui, apparaît dans trois de ses peintures : deux représentant son atelier et un autoportrait. Les objets d’usage quotidien revêtaient une importance particulière pour Foujita et le futon aux ustensiles de thé devait représenter pour lui une magnifique nature morte, digne d’orner les murs de son domicile, mieux que les nombreux kimonos qu’il possédait.

Leonard Foujita's Self Portrait (1936) Masakichi Hirano Art Foundation © Fondation Foujita

Leonard Foujita’s Self Portrait (1936) Masakichi Hirano Art Foundation © Fondation Foujita

La composition la plus fréquente de ce type de composition était une bouilloire à eau peinte au centre, entourée d’autres ustensiles, tels qu’un vase et des bols. Bien qu’il s’agisse d’objets pour la cérémonie du thé, le choix n’était pas restreint et il arrivait que d’autres objets usuels soient dessinés. Ici, dans le sens des aiguilles d’une montre, l’on peut voir un soliflore, une théière, un bol a thé, un pot à eau, trois autres bols à thé sur un plateau, un nouveau bol, une paire de baguettes en métal, un panier pour le charbon de bois, une meule en pierre et des ciseaux pour couper les fleurs. Ci-dessous,  futon aux motifs des ustensiles de la cérémonie du thé .

Tsutsugaki, Futon, ustensiles de la cérémonie du thé, collection de la maison-atelier de Foujita.

 

Technique et usage
Veste de pompier (kajibanten). Motif Saito Oniwakamaru (Oniwakamaru de la région de Saito, temple d’Enryakuji), Japon, toile de coton, kakie (motifs peints au pinceau et à la teinture), 120,1 x 122,2 cm.

Veste de pompier (kajibanten). Motif Saito Oniwakamaru (Oniwakamaru de la région de Saito, temple d’Enryakuji), Japon, toile de coton, kakie (motifs peints au pinceau et à la teinture), 120,1 x 122,2 cm.

Le terme « tsutsugaki » désigne une teinture à l’indigo. Un article rédigé dans le Dictionnaire de la teinture : nouvelle édition (Tairyu-sha, 1993), nous en donne la définition suivante : « Le tsutsugaki, plus simplement appelé tsutsu, est une méthode de teinture dans laquelle on emploie de la colle à base de pâte de riz destinée à protéger le textile lors du bain de teinture, dégageant ainsi le motif de fond. Il existe d’autres appellations comme par exemple, tsutsubiki, noribiki, norigaki, tenori. « Tsutsugaki » signifie appliquer de la pâte de riz sur un tissu à l’aide d’un tube en forme de cône (tsutsu). Doté d’une douille, ce cône est fait de shibugami (papier japonais enduit de jus acide de fruit) ou de tissu de coton. Les contours des motifs apparaissent ainsi dessinés à la pâte de riz, d’où le nom de tsutsugaki (« gaki » signifiant « dessin »).

Futon, motif de sotestu (arbre japonais) Japon, Ere Meiji (1868-1912)

Le dessin, parfois très élaboré, est réalisé sur quatre ou cinq bandes de tissu teintes séparément, puis jointes entre elles de façon à ce que les coutures soient le moins visibles possible. L’ensemble est alors surprenant car on a l’impression que l’œuvre obtenue n’a été confectionnée qu’à partir d’une seule et unique pièce de textile. Le processus de création fait appel à plusieurs compétences et il n’est pas rare que plusieurs artistes contribuent au processus de création. C’est ainsi que peuvent intervenir sur une même étoffe le dessinateur, l’artisan et le teinturier. Dans un premier temps, le dessinateur élabore son œuvre, à la main, sur des pièces de coton. L’artisan a pour tâche d’apposer la pâte de riz par réserve aux endroits idoines du dessin. Le dessin est ainsi protégé et le tissu peut être teint. La pièce de tissu peut être baignée plusieurs fois dans un bain d’indigo en fonction de l’effet recherché. Les couleurs sont ensuite apposées à la main.

Dessus de lit (futon). Motif Dragon et nuages, Bashou (bananier japonais), trésors et bijoux bouddhiques, pivoines, Japon, toile de coton, tsutsugaki, 222,9 x 160,2 cm

Dessus de lit (futon). Motif Dragon et nuages, Bashou (bananier japonais), trésors et bijoux bouddhiques, pivoines, Japon, toile de coton, tsutsugaki, 222,9 x 160,2 cm

Principalement en coton ou en lin, dessus de lit, futons en forme de kimono (yogi), kimonos portés comme des voiles (kazuki), kimonos longs (nagagi), vestes, uniformes de pompier, emballages en tissu, housses de protection des meubles, longs rideaux (maku), étendards, portières ou rideaux de boutiques, enseignes, drapeaux, vêtements de scène, habits de cérémonie, costumes, tissus et ornements pour décorer les chars, harnais de chevaux. Les tsutsugaki étaient principalement commandés pour des occasions particulières ou heureuses, telles que les naissances et les mariages, les festivités, afin de présenter des voeux de bonheur aux familles ou à la communauté. La plupart des motifs étaient choisi pour souhaiter longévité et prospérité à la descendance.

Les motifs d’animaux
Japanese Tsutsugaki Indigo Cotton Marital Celebratory Futon Cover From Early 1900s. , 126 X 155 cm

Japanese Tsutsugaki Indigo Cotton Marital Celebratory Futon Cover From Early 1900s. , 126 X 155 cm

Les motifs ornant le tissu sont particulièrement remarquables : soin apporté aux détails et aux symboles, vivacité des couleurs, arabesques entremêlées. Ces motifs diffèrent d’une région à l’autre. Au Nord-est du Japon, les motifs représentant des singes prédominent, tandis qu’à Kyûshû, au sud-est de l’archipel, le sishi (lion) et le dragon s’imposent. Chacun des motifs était choisi pour sa valeur symbolique de bon augure. Ainsi, par exemple, les futons de mariage étaient souvent décorés de canards mandarins, symboles de relations harmonieuses dans le couple. Parfois le phoenix est associé au paulownia.

Futon, motif de phoenix et paulownia, caractères chinois de la chance

Les motifs animaux associés les plus emblématiques sont Tsuru-Kame, la grue et la tortue, ayant la réputation toutes deux d’avoir une longévité exceptionnelle. Les représentations des grues sont tantôt naturalistes avec des rendus de plumes déclinés dans des teintes douces, imitées des œuvres picturales, tantôt d’un dessin puissant personnifiant de façon plus graphique les Mon (ou armoiries des familles). Les tortues mythiques accompagnent souvent les grues comme compagnons de longévité et de stabilité.

Tsutsugaki, futon de mariage, motif de mon, grues et tortues, fin du XIX, début du XX ème.

Ces tortues sont une occasion pour l’artiste de remplir l’espace disponible de la toile avec les sinuosités des longues algues attachées à la carapace de l’animal lui faisant une espèce de traîne fort élégante. Le futon (dessus de lit) de mariage ci-dessus date de la fin du XIXème. Elément central de la literie traditionnelle, le futon est généralement fabriqué en famille, jusqu’au milieu du XXème siècle. Les futons mesurent généralement entre 144 et 180 cm de large. Celui-ci est orné d’un mon (armoirie), emblème familial composé ici de trois éventails, encadrés par 3 grues (tsuru) et de 2 tortues (kame) dans la partie inférieure.

Cet autre futon (ci-dessous) est orné d’un phénix et d’un paulownia. Ce grand oiseau bénéfique de la mythologie chinoise est représenté ici avec l’arbre sur lequel il est supposé nicher. Le nom chinois du phénix est Fenghuang. L’élément mâle du phénix s’appelle Feng. L’élément femelle s’appelle Huang. Ensemble, ils représentent le bonheur conjugal. Cette belle pièce faisait sans doute partie d’un trousseau de mariage constitué pour la fille d’une famille aisée. Il date de l’époque Edo (1603-1868).

Futon de mariage,motif de phoenix et de paulownia, époque Edo (1603-1868)

 

Le mont Hôrai (Hôrai san)

futon, motif du Mont Hôrai, tsutsugaki. jpg

Ce futon représente le Mont Horaï, l’une des cinq montagnes/îles qui, (selon une ancienne croyance populaire chinoise en l’existence d’îles mythiques peuplées de magiciens et d’Immortels taoïstes) flottent sur la mer d’Orient. Des arbres, dont les fruits apportent la vie éternelle, pousseraient sur cette île, sans racines, supportés par une énorme tortue. En ce sens, ce motif exprime les voeux de longévité et d’immortalité. Composée, à l’arrière-plan, de vagues, de pins, de bambous et de fleurs de pruniers rouges et blanches, l’oeuvre ci-dessus, représente un couple de grues et un couple de tortues disposés sur un rocher représentant le Mont Hôrai. On ne peut qu’admirer l’élégance et la finesse des motifs ainsi que leur luxuriance.

Une parure pour chevaux

Parure de cheval, Motifs de singes, tsutsugaki,Japon

 

Ce genre de parure pour cheval recouvre la croupe de l’animal. Chaque pan retombe à la verticale de chaque côté de la croupe. Ces parures ont un rôle pratique : protéger l’animal contre les insectes, mais leurs motifs revêtent un sens magique : celui de défendre les animaux contre les êtres maléfiques.

Tsutsugaki, parure de cheval,motifs de singes,détail

Au centre de l’oeuvre ci-dessus, figure un grand blason à fleurs de prunier. Les quatre idéogrammes, signifiant « faites place », expriment l’injonction du cavalier. La représentation du singe, fait allusion au dieu-singe, protecteur des chevaux. Sur l’un des pans, on peut voir deux singes qui qui ramassent des branches de litchi ; sur l’autre, trois singent tentent de ramasser une pêche dans l’eau d’une rivière; ce dernier motif est inspiré d’un tableau qui montre un singe essayant d’attraper le reflet de la lune dans une rivière. Ce thème dénonce la stupidité des personnes mystifiées par des illusions.

Le kazuki

Dès l’époque Muramachi, l’usage veut que les femmes se cachent le visage pour sortir ou se rendre à des cérémonies comme le mariage, les funérailles ou d’autres occasions. On appelle kazuki, les kimono portés à ces occasions. La coutume perdure jusqu’à la fin de l’époque Edo dans les grandes villes ; en province, elle perdure jusqu’ à l’ère Showa. Au début du XVIII ème siècle, Sukenobu Nishikawa, peintre ukiyo-e de Kyôto , représente souvent des femmes magnifiquement vêtues, la tête couverte d’un kazuki. Ci-dessous, troisième femme à partir de la gauche.

sukenobu-nishikawa-1671-1751, femme avec un kazuki

 

Le col du kazuki est cousu sous les épaules et figure un blason en forme de chrysanthème, autour duquel se dessine, des épaules aux reins, une mosaïque de chrysanthèmes.  En bas, des feuilles d’érables et des motifs d’eau vive. On devine également des motifs d’aiguilles de pins. Le blason et les motifs du bas ont été réalisés selon la méthode tsutsugaki, les chrysanthèmes au pochoir.

Kimono de femme,porté comme un voile (kazuki); Motif de cours d’eau et de feuilles d’érables, tsutsugaki et pochoir

 

Bibliographie

Tsutsugaki, catalogue du Musée des Arts Asiatiques Guimet, Ed Hermann, 2013, (collectif)

 

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire