
YAN PEI-MING, Yan Pei-Ming- Blue Portrait of the Artist, 2016, oil on canvas, 50 × 50 cm. Courtesy MDC Hong Kong.
Yan Pei-Ming (严培明 ) est un artiste peintre français d’origine chinoise, né en 1960 à Shanghai en Chine. Depuis 1980, il s’est établi en France et travaille entre Dijon et Paris. Connu pour ses gigantesques portraits, notamment de Mao, il est également un peintre d’histoire et de faits divers (dont nous parlerons dans un autre article). Sa peinture questionne les notions de portrait, d’image, d’effigie, ou d’icône liées à celles de la représentation et de la picturalité, de la figuration et de l’abstraction, de l’identité et de l’humanité, du même et de l’impermanence.
Biographie
Né dans une famille ouvrière, Yan Pei-Ming grandit dans l’ambiance de la fin de la Révolution Culturelle, dans un temple bouddhiste reconverti en commissariat de police en 1967. Ses talents artistiques sont repérés alors qu’il est encore très jeune et on lui demande de réaliser des peintures de propagande. Il a demandé l’admission à la Shanghai Art & Design School, mais a été rejeté à cause de son bégaiement. Il arrive en France en 1980 et étudie pendant cinq ans à l’école des Beaux-Arts de Dijon, puis, entre 1988 et 1989, à l’Institut des Hautes Etudes en Arts Plastiques de Paris. Prix de Rome en 1993, Yan Pei-Ming réalise depuis de nombreux portraits, d’après modèles ou documents, d’anonymes ou d’icônes (Michael Jackson, Jean-Paul II, Bruce Lee, …).
Les têtes
Il s’empare du portrait, un genre considéré comme mineur en Chine. Yan Pei-Ming titre ses premières oeuvres “Têtes” pour bien monter le caractère générique et anonyme de ces “portraits”.”Quand je fais un visage, il est tout à fait autonome et ne représente pas un personnage précis, c’est une sorte d’anti-portrait.” L’impression première est celle d’un chaos, d’un désordre, mais de ce désordre surgissent des détails, un oeil, une bouche, un nez, des cheveux, une tête, issue de son imagination. “Peindre c’est enterrer et faire naître en même temps“. Comprendre : c’est enterrer le référent et faire naître la peinture, l’oeuvre. Dans ce chaos de peinture se lit une présence de l’humanité qui se défait autant qu’elle se constitue sous nos yeux.
Mais la figure émerge du chaos, comme le figuratif émerge de l’abstraction.
Portraits de personnes identifiables
A partir de 1992, Yan Pei-Ming se confronte désormais à des personnes identifiables et réelles. “Plus je fais des têtes, moins je comprends les hommes. Avec les portraits d’après modèle ou d’après des documents, je livre un individu”. Il réalise ainsi en 1992, les portraits de dix personnes travaillant au restaurant universitaire du CROUS de Dijon. De l’étudiant, en passant par les femmes de service, les cuisiniers et le directeur.
Ces portraits qui ornent désormais les murs témoignent d’un aspect de la vie qui est rarement pris en compte par la peinture : le travail salarié. Mais, si l’on pense aussitôt à l’idéologie maoïste dans laquelle YMP a été élevé, on est cependant bien loin des représentations du réalisme-socialiste, des visions idéalisées du travailleur, héros de la société communiste.

YAN Pei Ming, travailleurs de Dijon, 1992
Non plus un héros souriant, mais un être qui est, et qui a été. Une validation d’existence d’un individu unique qui n’appartient pas à un type, ou une classe sociale, le travailleur, mais qui est le sujet reconnaissable et identifiable d’une oeuvre qui témoigne de son existence.
Les portraits de Mao
Les portrait de Mao Zedong constitue le fil rouge de la peinture de Yan Pei-Ming. En Chine populaire, il peignait des portraits officiels du Grand Timonier. Dès son arrivée en Occident, il s’est appuyé sur son activité de peintre propagandiste, mais pour réaliser ses propres activités d’artiste. Le peintre transforme le dirigeant chinois et transfigure cet emblème idéalisé.

Yan Pei Ming, Mao au balcon, 2000, 250 cmx250 cm
YPM alterne les représentations habituelles du “Soleil-rouge-qui-éclaire-tous-les-coeurs”, — c’est-à-dire souriant, rayonnant, impérial — et les représentations plus inconvenantes : méchant, aveugle, pleurant, empâté, dégoulinant, vieilli et édenté, mourant, mort.
En noir et blanc ou en rouge : tout s’oppose au traitement réaliste socialiste traditionnel. Non plus le Mao, lisse et monolithique, idéalisé par la propagande chinoise, toujours lui-même et le Même, mais un Mao chaque fois différent qui subit les assauts des suintements, des coulures, des effacements qui entament, corrodent, hachurent, tailladent, décentrent la figure du Grand Timonier.
Il peut aussi l’effacer presque complètement derrière les traits de pinceau.
Lorsqu’il est placé à côté de l’oncle aveugle de l’artiste, dans un dyptique qui le fait sortir de l’Histoire pour le ramener à l’histoire individuelle, il descend de son piédestal pour figurer au côté d’un autre humain, presqu’à égalité. L’un pris en plongée, les yeux baissés, l’autre en contre-plongée, le regard fixant le spectateur, dans un rapport de dominant à dominé.
Les portraits de son père

Yan Pei-Ming, L’homme le plus puissant, 1992, 340×300 cm, huile sur toile
“Les fils ont toujours envie d’avoir un père qui soit le plus puissant, le plus intelligent, le plus riche, le plus sympathique, etc. A travers lui, je peux imaginer toute l’humanité”. Mais “il n’ y pas de lien direct entre les portraits de mon père et leurs titres : je n’ai pas envie qu’en lisant l’homme le plus intelligent, on voie dans la peinture une illustration de l’intelligence“. Des portraits qui n’ont donc rien de psychologique et qui ne reflètent pas non plus le sentiment qu’éprouve le peintre pour son père. La peinture de YPM , en ce sens, n’a rien d’expressionniste. Ces qualités soulignent son humanité, renvoient à ce que pourrait être la paternité, tout en niant cette idée de paternité idéale. L’homme le plus attentif ne regarde pas le peintre, a même un oeil mi-clos, ce qui, a priori, ne saurait être l’idée de l’attention.

Yan Pei-Ming, L’homme le plus attentif, 1996, 200 x 234.7cm
Mais le père reste un “homme qui est anonyme, inconnu, imperceptible.Il est entièrement absent. Il n’a pas de regard vis à vis du peintre ni de son fils. Pour moi c’est l’idéal.” Un humain qui se comporte comme un objet sans vie, qui n’est le sujet que de la peinture et qui permet au peintre, précisément de n’être que peintre. Comme si la peinture ne pouvait se faire qu’au-delà des personnes, des vivants.

Yan Pei-Ming, L’homme le plus doux, 1996, huile sur toile, 92×73
Bouddha

Yan Pei Ming, Bouddha, 2000, 130×130 cm
La série de Bouddhas que Yan Pei-Ming réalise à partir de 1999 est un hommage à la piété de sa mère et à la culture bouddhique de son enfance. Cette série explore une fois encore les questions que posent ses portraits, entre autres celle de l’identité et de l’humanité, du même et de l’autre, de la répétition et de la différence.

Yan Pei-Ming, Red Buddha, 2008, aquarelle sur papier 245.9 x 153.1 cm
“Dans un grand temple chinois, une salle est consacrée à cinq cents bouddhas sculptés dans le bois à échelle humaine. Au premier coup d’oeil, ils semblent être identiques, mais chaque effigie est différente et personnalisée sans que cela soit un portrait”. La distinction que fait Yan Pei-Ming entre effigie et portrait n’est pas explicitée et, à priori, ces deux termes signifient”représentation d’une personne”. La phrase oppose l’identique à la différence, et lie l’effigie à la différence et le portrait à l’identique. L’effigie est personnalisée (dans le sens qu’elle est personnalisée par l’artiste), ce qui implique que le portrait ne l’est pas. Faut-il comprendre que l’effigie insiste sur le côté pictural (ou sculptural, peu importe), différent pour chaque tableau et le portrait sur le référent, identique sous toutes les effigies ? L’identité implique la permanence, l’effigie l’impermanence et si nous comprenons bien la recherche de Yan Pei Min, l’artiste ne peut réaliser que des effigies. Contrairement à l’image figée d’un unique Mao véhiculée par le réalisme socialiste.

Yan Pei-Ming (b.1960) – Tête de bouddha, 1999, Oil on canvas. 290×290 cm.
Cette distinction entre effigie et portrait est personnelle à Yan Pei Ming et nous ne la discuterons pas, chaque artiste crée son vocabulaire, soit de façon plastique (par exemple, les valeurs de noir et blanc, les grands formats, les grands coup de brosse ou de pinceaux, etc), soit, ici, de façon sémantique. Ce que nous jugeons intéressant est la réflexion constante de YPM sur les notions d’identité, d’individualité, d’image et de représentation, de ressemblance ou non avec le référent, de la figure et du figuratif, de ce qui fait un individu, de ce qui fait son humanité, de ce qui le rend unique ou semblable aux autres. Et des possibilités de la représentation liées à cela.

Yan Pei-Ming,Bouddha rouge 2004,179,7×150,2 cm.
Le pape Jean-Paul II

Yan Pei Ming,Pape, 2004
Peindre, c’est également s’inscrire dans une relation avec les oeuvres réalisées auparavant. Dans le cas du pape Jean-Paul II, on pense à Vélasquez et à son Portrait du pape Innocent X et à Bacon.

Velasquez, Pape Innocent X, ,Bacon, Portrait du Pape Innocent X d’après Velasquez,1953
En ce sens-là un tableau, tel certains textes, est un palimpseste, c’est-à-dire qu’il contient en lui d’autres tableaux auxquels il fait référence et que l’on peut lire à travers lui. Remarquons à ce propos que le tableau de Bacon fait référence dans son titre au tableau de Velasquez, mais que l’image du pape criant réfère également au Cri de Munch, etc.
Si le tableau reprend les couleurs, rouge et blanc, du portrait de Velasquez, ainsi que l’angle de prise de vue et le cadrage, les coulures de peintures et les longs traits verticaux du fond, quant à eux rappellent les longs traits de Bacon. Le fauteuil, par contre, a disparu, ou du moins se mêle avec le fond. Par ailleurs, la disproportion de la main droite (à gauche sur le tableau) évoque les distorsions d’une photo prise au grand angle et joue ainsi sur les limites entre différents media : peindre comme si cela était une photo. Ce qui semble se jouer, cette fois-ci, ce n’est pas le rapport entre le référent et la peinture, mais le rapport entre les différentes images, peintures, représentations, signes, du personnage. Ce qui est, d’une part, une manière de mettre en évidence la picturalité du tableau et, d’autre part, constitue le pape Jean-Paul II comme une image plus que comme une personne : un portrait de pape parmi les autres portraits de papes, plus que Jean-Paul II, chef de l’église catholique. Si les portraits du père remettaient en cause l’idée du père, le portrait du pape questionne la peinture, et les portraits de Mao démolissent l’icône ou l’image.
Bruce Lee

Yan Pei-Ming, Bruce Lee, Fighting Spirit, 2012
Bruce Lee, surnommé “le petit dragon” est une figure planétaire, produit de l’industrie d’Hollywood et de Hongkong. Mais c’est moins en tant que tel que comme figure de l’art martial qu’il intéresse Yan Pei-Ming . “Les combattants maîtrisent leur coups à la perfection, ils savent quand et comment accomplir leurs gestes, comme s”ils avaient un coup de pinceau à donner”. Comparaison intéressante qui figure, par une mise en abîme, l’acte-même de peindre. L’on pense au fameux “qi” de la pensée et de l’esthétique chinoise : souffle vital et énergie qui traverse les êtres et qu’il s’agit de retrouver dans la pratique artistique. En tant qu’art, le combat est semblable à la peinture. Cette comparaison est d’autant plus flagrante lorsque l’on regarde les “coups” de pinceau ou de brosse de Yan Pei-Ming dont l’oeuvre s’apparente à un véritable corps à corps, mais dont la précision est tout aussi évidente. “C’est quelque chose d’incontrôlable que l’on contrôle. On peut le comparer aux gens qui font des arts martiaux. Ils maîtrisent bien leurs coups.Ils n’ont plus besoin de les répéter. Ils connaissent exactement les enchaînements. C’est un peu la même chose quand tu donnes un coup de pinceau, le deuxième coup de pinceau suit“. Enchaînement rapide de gestes et de coups qui fait de la peinture un combat où la main du peintre trace autant de traits sur la toile que celle du combattant dans le vide avant d’atteindre sa cible.
Pour terminer, nous laisserons la parole à Yan Pei-Ming : “Certains voient d’abord des images (comprendre : ce qui est représenté), d’autres voient d’abord la peinture. Ceux qui mettent en avant la peinture ont tendance à faire disparaître les images. Ces deux lectures m’intéressent beaucoup (…) C’est pourquoi dès le début, je peins conjointement des figures anonymes, qu’elles soient imaginaires ou non, et des figures très identifiées comme Mao. Ce que j’ai voulu faire, c’est renforcer la picturalité par l’anonymat et renforcer l’image par le portrait de Mao. “
Pour d’autres articles sur la peinture chinoise voir
Zhang Xiaogang (1) : mémoire individuelle et mémoire collective
Zhang Xiaogang (2) : extérieur et intérieur
Zhang Xiaogang (3) : immobilité et mouvement
Bibliographie :
Marcadé, Yan Pei-Ming, L’Herne, 2013
Collectif, Yan Pei-Ming face à Courbet,Ed. Musée Courbet,