
Inrô, Laque japon, XIXès.
Avec leur ornementation lustrée et leur aspect soyeux, les laques ont de tout temps exercé une fascination tant en Asie qu’en Europe. Les pièces présentées dans cet article sont datées entre le XVIIème et la première moitié du XXème siècle. Nous ne traiterons dans cet article que des objets qui témoignent du travail patient et minutieux des artisans qui les ont créés, laissant de côté les meubles ou les sculptures. Une précision sur le terme même de laque : en tant que résine issue de la sève d’arbres, le mot est féminin; pour désigner un objet fait de cette matière, le mot est masculin. Ci-contre, inrô en laque or et argent sur fond de laque noire et incrustations de nacre, représentant deux paons. Signé Kajikawa Ryushô et kakihan. Japon, XIXe siècle. Haut. 7,8 cm,
Quels objets ?
Les inrô, petites boîtes à médicaments, se suspendaient à la ceinture, étaient un accessoire de mode indispensable au citadin élégant de l’époque Edo (1605-1868). Autre catégorie importante, en termes quantitatifs, celle des étuis à pipe, une production plus caractéristique des ères Meiji (1868-1912) et Taisho (1912-1926).
A ceci s’ajoutent des boîtes de formats divers, les plus petits destinés à contenir l’encens, les kôgô.

Japon, Edo, Kogo, début XIXè S.
Ci-dessus, boîte circulaire en laque du Japon Urushi. Le couvercle présente un joli décor de Shishi jouant. A l’intérieur de la boîte on aperçoit des herbes d’automne à l’or sur un fond nashiji. Le pourtour de la boîte présente un décor dit mokume d’or et d’argent, imitant le veinage du bois. Diamètre : 9 cm. Japon Edo (1603-1868), tout début du XIXe siècle.
Autre objet, les boîtes servant à contenir le thé en poudre (natsume).

natsume, laque d’or, epoque Edo, XVIIIèS. Japon
Ci-dessus, natsume, rare boîte à thé en laque d’or du Japon, imitant un pot en grès pour conserver le thé. Fond poudré d’or, dit nashiji. Imitation de coulées / glaçures des céramiques et d’un tissu noué à motifs de grues en vol sur un fond de damier. Hauteur : 8,7 cm. Japon Edo (1603-1868) fin du XVIIIe siècle.
D’autres, plus grandes, servant d’écritoire ou de boîtes à documents, ou encore les jubako, boîtes à plusieurs compartiments servant à transporter et présenter de la nourriture. Ci-dessous, jubako à 5 compartiments présentant un motif de roses sauvages datant du XVIIIème siècle, en laque d’or, incrustation de nacre et laque d’argent sur laque noire.

jubakô, japon, XVIIIèS., laque maki-e
Le travail de la laque
La laque (urushi) utilisée dans les arts japonais provient de la résine d’un arbre, le Rhus verniciflua, ou arbre à laque, cultivé principalement sur l’île du Honshu. La récolte se fait en pratiquant des entailles dans le tronc d’un arbre arrivé à maturité : la petite quantité de sève qui s’en écoule est recueillie puis filtrée pour en retirer les impuretés. Plusieurs prélèvements peuvent être effectués sur un même arbre entre la fin du printemps et la fin de l’automne. Il existe toutefois des variations notables dans la qualité et les propriétés physiques de la laque selon l’âge de l’arbre, le climat et le sol dans lequel il pousse ou encore la saison à laquelle la laque est récoltée. Ainsi, la laque recueillie entre juin et août est considérée comme la meilleure pour sa capacité à durcir rapidement et solidement. Pour assurer un durcissement uniforme et complet, ainsi qu’une adhérence parfaite à son support, elle est appliquée en couches successives d’une extrême finesse ; le nombre final de couches – qui peut aller d’une dizaine à plus d’une centaine – dépendra de la qualité requise et de la méthode de décoration choisie.
Les supports
Une fois raffinée, la résine peut être appliquée sur plusieurs bases : textiles, bambou, cuir, céramique, ivoire ou encore métal. Le bois reste cependant le matériau privilégié, la sélection de la variété se faisant en fonction de la forme de l’objet, de son utilisation et de sa qualité. Parmi les essences les plus courantes, citons le cèdre (sugi), le cyprès japonais (hinoki), le paulownia (kiri) ou le magnolia (hônoki), ces deux derniers étant particulièrement légers. La fabrication des supports n’est pas réalisée par le laqueur lui-même, mais par des artisans spécialisés. La méthode dépend de la forme de l’objet réalisé. Les bols ou les boîtes à thé (natsume) circulaires étaient tournés, alors que les boîtes rectangulaires sont composées d’un assemblage de pièces séparées. Pour les formes moins régulières aux coins arrondis ou aux couvercles bombés, de même que pour les boîtes ovales, l’artisan emploie de très fines lattes de bois qui sont humidifiées pour les assouplir, puis courbées et finalement collées. Par exemple, ci-dessous, inrô datant du XIXème siècle, réalisé par Hara Yōyūsai (1772–1845) réalisée en laque d’or, d’argent et de couleur corail.

inrô, japan, XIXèS.@Metmuseum
Le laquage
Une première couche de laque brute est alors appliquée pour imperméabiliser le bois, la surface est ensuite marouflée avec du papier ou du tissu encollé de laque, puis recouverte de plusieurs niveaux de laque mélangée avec de la poudre d’argile. C’est sur cette fondation que seront ensuite appliquées des couches de laques de plus en plus raffinées jusqu’au niveau supérieur (uwanuri), sur lequel l’artisan pourra finalement exécuter la phase proprement décorative. Chaque couche de laque doit être séchée et minutieusement poncée avant de procéder à l’application de la suivante. Le séchage est effectué à l’abri de la poussière dans une chambre de bois appelée muro ou urushiburô dans laquelle les conditions de température et d’humidité relative indispensables au durcissement correct de la laque peuvent être maintenues. Le polissage et le ponçage sont réalisés avec des pierres de grain plus ou moins fin ainsi qu’avec du charbon de bois.
Les techniques décoratives
Au cours des siècles, différentes techniques décoratives aux effets très variés ont été développées en Chine et au Japon. Les deux catégories principales sont les laques gravés d’une part, et ceux décorés à l’or, d’autre part ; à ceci s’ajoute également des décors incrustés (de nacre, de métaux, de corail, d’ivoire et, plus rarement, de céramique). Par exemple, ci-dessous, laque d’or saupoudrée et laque colorée sur laque noire avec incrustations de nacre et d’or, réalisé par Hara Yōyūsai ( 1772–1845) datant du début du XIXème siècle représentant un décor de calamars, coquillages et algues.

inrô, Hara Yôyusai, Japan, Edo Période, @Metmuseum
Si certains artistes ou ateliers se sont spécialisés dans l’une ou l’autre de ces techniques, il est néanmoins courant de trouver plusieurs méthodes de décoration combinées sur une mème pièce.
Les laques gravés
Les laques dits gravés, chôshitsu, courants en Chine dès le Xème siècle, ont connu un vif succès au Japon, surtout à partir de l’époque Muromachi (1392-1573). Cette méthode de décoration implique un investissement en temps très important : avant de pouvoir réaliser son motif, le laqueur doit d’abord procéder à une lente accumulation de couches extrêmement fines de laque, de moins d’un demi millimètre d’épaisseur chacune. Une fois que la hauteur désirée est obtenue, il pourra procéder à la gravure du décor qui, pour les véritables oeuvres en chôshitsu, est réalisée dans les couches de laque elle-même et non pas dans le support de bois. Le nombre de couches appliquées déterminera donc le degré de profondeur du motif et il n’est pas rare de compter jusqu’à une trentaine de couches superposées, voire le double.
Ci-dessous, inrô en laque gravé tsuishu (rouge), datant de l’époque Edo(vers 1800) à décor de dragons dans les nuages.

Laque gravée tsuishu, Edo, vers 1800., Japon
La gravure se fait à l’aide de burins après la sortie de l’objet du muro, mais avant dessiccation complète ; en effet, à ce stade, la laque peut encore être incisée avec une grande précision sans occasionner d’éclats. Le décor terminé comprend habituellement un relief variable et l’artisan commencera par graver les éléments les plus proches de la surface pour descendre progressivement vers les zones les plus en profondeur. Cette variabilité qui produit de légères ombres et accentue les volumes, est particulièrement importante pour les oeuvres monochromes ; sans elle, les motifs risqueraient d’être difficiles à distinguer.

Inrô laque tsuikoku,XIXèS, Japon
A l’époque Edo, la majorité des laques gravés étaient réalisés en une seule teinte, généralement en rouge (tsuishu) ou en noir (tsuikoku). Ci-dessous inrô à quatre casiers en laque tsuishu à décor de fleurs stylisées sur fond brun, datant du XIXème siècle. Haut. 8 cm

Inrô, laque tsuishu, XIXèS., Japon
Il est possible de graver le bois puis de laquer celui-ci avec des couches de laques successives et enfin de le polir. On parle alors de kamakura-bori, méthode inventée par un sculpteur de statues boudhiques pendant la période Kamakura (1185-1333), moment où la laque gravée de Chine de la dynastie Song fut importée au Japon . Ci-dessous, exemple de kamukara-bori.

Kamakura Bori, détail, Japon
Les incrustations de nacre
Les procédés d’incrustation de nacre, originaires de Chine, sont connus au Japon depuis l’époque de Nara (645-794). Les éléments du décor, dont l’épaisseur et la taille varient selon la technique et l’époque, sont découpés dans les coquillages de certains mollusques, notamment de la famille des haliotides (les ormeaux). L’utilisation de fragments épais de couleur blanchâtre et d’aspect opalin a dominé pendant plusieurs siècles.
Mais au début du XVIIème siècle, une nouvelle technique fut introduite depuis la Chine des Ming (1368-1644) par des artisans laqueurs arrivés dans le port de Nagasaki : elle consiste à couper de minuscules morceaux de nacre très fine, appelée aogai (bleu-vert), sélectionnée pour ses effets iridescents.

Inrô, style Somada, XIXèS.
Ce procédé, également employé aux îles Ryûkyû, est notamment associé à la production de la famille Somada installée sur la côte nord du Honshu, de 1678 jusqu’à la dissolution de l’atelier au début de l’époque Meiji (1868-1911). Les huit générations de maîtres Somada qui se succédèrent pendant ces deux siècles acquirent une réputation pour la précision et l’excellence de leur travail, et leurs oeuvres, bien qu’imitées dans d’autres ateliers, furent rarement égalées.
Le style Somada est caractérisé par un décor construit à la manière d’une mosaïque, dont les reflets colorés de nacre, auxquels se joignent parfois des touches de feuille d’or, se détachent sur un fond noir brillant. Les thèmes favoris des artisans de ce style sont les sujets légendaires, les animaux mythiques et les symboles de bon augure.
Ci-dessous, inrô en laque Ro-iro nuri à 3 compartiments, à décor de chevaux dans un paysage. Nacres dans le goût de Somada caractéristique de ce riche décor géométrique de nacres incrustées. Cordon de soie. Il présente des motifs décoratifs géométriques de nacres, différents sur le dessus et le dessous. Hauteur : 8,7 cm Japon – XIXe siècle

Inrô dans le style Somada, XIXè S. Japon
Une décoration incrustée d’un tout autre genre fut développée au XIXème siècle par la famille Shibayama , originaire de la région éponyme à l’est d’Edo et installée à la capitale depuis les années 1770. Le style dit Shibayama se distingue par des incrustations sur une même pièce de matériaux très divers – ivoire, nacre, écaille de tortue, corail ou métal, dont les éléments sont parfois teintés et souvent finement gravés en haut relief. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, ces décors connurent un vif succès en Europe, et une grande partie de la production fut destinée à l’exportation. Ci-dessous, boîte sphérique en laque d’or et incrustation Shibayama, datant du XIXè S.

boîte sphérique en laque d’or et incrustation Shibayama, datant du XIXè S
Entièrement décorée de feuilles d’érable en incrustations de nacre, corne et os teinté sur fond de laque or, le dessous en laque or, orné d’un cachet en nacre et os teinté vert portant une signature, l’intérieur de la boîte en laque or, la bordure cerclée d’argent. Diamètre : 11 cm. Ci-dessous, détail de la même boîte.

boîte sphérique en laque d’or et incrustation Shibayama, datant du XIXè S, détail
Ci-dessous, exceptionnel porte pinceaux shibayama en ivoire riche décor d’oiseaux et plantes aquatiques, incrustation de laque, nacre période Edo.

Porte pinceaux shibayama,période Edo
Ci-dessous, inrô, signé Shibayama avec incrustation de corail et écaille de torture représentant un bouquet de fleurs et oiseau datant de la moitié du XIXème siècle.

Inrô, , Shibayama, XIXè S.
Le maki-e
La plupart des objets présenté ici, excepté les laques gravés ont une partie en maki-e. Nous présenterons cependant ici un objet : un jukogo (boîte à compartiments servant à l’encens) cylindrique en laque d’or à 3 compartiments datant de l’ère Edo (1603 – 1868) fin du XVIIe siècle.

Jukogo, laque urushi d’or, japon, XVIIè S.
L’extérieur est orné d’un paysage traditionnel en hiramaki-e (laque en noir, argent et or) et takamaki-e (relief en différentes couleurs d’or) avec pins et pruniers japonais sur des rochers. On ne peut qu’admirer la très belle finesse du décor.
Les techniques du maki-e, troisième procédé de l’art du laque, et probablement son apogée, implique sept techniques différentes selon que l’on considère le fond de l’objet ou la décoration proprement dite et nous en ferons la description dans l’article suivant.
Pour d’autres articles sur les laques japonais voir
Les laques japonais (2) : le maki-e
Les laques japonais (3) : les laques Negoro
Bibliographie
- Sadamu Kawada, Shuurushi « negoro », Miho Museum 2013
- Christine Shimizu, Urushi, Les laques du Japon, Flammarion, 1988
- Bulletin de l’Association franco-japonaise, n°144, avril 2020
- Andrée Lorac Gerbaud, L’art du laque, Dessain et Tolra,1973
- Hélène Loveday, Laques japonais, guides collections Baur, Genève, 2007
- Laques du Japon, Les cahiers des collections Baur n 3, Genève, 1988,
Magnifique!
Quel raffinement!
oui, certains objets sont à tomber…. Merci pour le commentaire
Instructif et élégant !
Merci pour le commentaire