
© Yamamoto Masao ,Nakazora # 1025, Gelatin silver print with hand-applied ink
7 ¼ x 5 inch (18.42 x 12.70 cm), Edition of 40
Yamamoto Masao est réputé pour ses petites épreuves sur papier argentique travaillées à la main, qu’il vieillit délicatement pour donner à l’objet une patine suffisante pour que les photographies apparaissent d’une période indéterminée. Sans lieu, ni date, elles appartiennent à la grande famille des photographies anonymes et intimes que chacun aurait pu prendre…
Les sujets varient énormément, allant de la campagne japonaise aux corps féminins nus, sensuels et mystérieux, en passant par la nature morte, le bonsaï et les animaux.
Biographie

portrait de Yamamoto Masao
Yamamoto est né en 1957 à Gamagori, dans la préfecture d’Aichi, près du centre de Honshu, la principale île du Japon. Il a étudié la peinture à l’huile spécifiquement sous l’égide de Goro Saito, avant de se consacrer exclusivement à la photographie en 1993. Yamamoto vit actuellement à Yatsugatake Nanroku, dans la préfecture de Yamanashi, où il aime créer son travail tout en étant proche de la nature.
Oeuvres
Bien que Yamamoto Masao soit finalement passé à la photographie au début des années 90, son expérience de la peinture est apparente dans l’aspect pictural de ses œuvres, incorporant des flous et expérimentant avec des surfaces d’impression : avec de nombreuses photographies, il a manipulé les épreuves à la gélatine argentique par des procédés analogiques tels que la teinture des images avec du thé ou de la peinture réelle, ou encore leur déchirure. Les surfaces sensuelles de ses photographies en noir et blanc contiennent des tons subtils qui résonnent avec les moments éphémères qu’il explore dans ses images.

©Yamamoto Masao
Ku no Hako : boîte de vide (a box of Ku)
Ses images sont comme des fragments de vie à jamais indéchiffrables, éclairs de grâce, presque «riens», comme le suggèrait le titre de son premier livre, paru en 1998, «Ku no Hako» («boite de vide»).

©Masao Yamamoto – #754, A box of Ku
Réduction, concision, aspect allusif : Yamamoto concentre dans son travail quelques traits marquants de l’esthétique japonaise, présents notamment dans la poésie courte, le haïku, à laquelle les photographies de l’artiste sont souvent associées. On a ainsi écrit à leur sujet : « Quiconque regarde l’une des photographies de Yamamoto comprendra immédiatement quel effet un haïku peut avoir (1). »
“Les vastes paysages, les sociétés, les pays et l’espace sont tous fabriqués à partir de pièces plus petites. Ces petites choses n’existent pas seulement en tant qu’éléments qui composent le tout ; ils ont chacun leur histoire, comme chacun a sa vie. Sous le rocher naissent des milliers de bébés fourmis, des chenilles mangeant des feuilles, des oiseaux attaqués par des chats – de petits événements se déroulent dans le flux continu du temps. Je suis à la recherche de la beauté au sein de ces petits événements facilement négligés.”

©Masao-Yamamoto
Bien que la comparaison avec le haïku relève ici de la référence littéraire, elle n’en est pas moins juste, surtout au regard de la composition de cette forme poétique et des sensations qu’elle provoque : « C’est dans sa rétention que la forme de poésie la plus dense de l’histoire trouve son amplitude. […] Ses quelques syllabes ouvrent un espace de naissance infinie que la lecture échoue à épuiser. […] Il faut dire que le lecteur est convoqué au plus vif, au plus vrai de sa palette sensible, pour “compléter” le poème (2). »

Yamamoto Masao – #0155, A box of Ku,

©Yamamoto Masao, A box of Ku, #392, Gelatin silver print with hand-applied ink
(17.15 x 11.11 cm), Edition of 40
Nakazora
Nakazora est un terme bouddhiste que l’on peut traduire par ”entre la terre et le ciel”, c’est-à-dire entre la vie et la mort, entre le rêve et la réalité, dans l’indécision du temps et de l’espace.

© Yamamoto Masao ,Nakazora # 1025, Gelatin silver print with hand-applied ink
7 ¼ x 5 inch (18.42 x 12.70 cm), Edition of 40
Sa série Nakazora est constituée de près de 1 500 tirages de petite dimension, certains ne mesurant guère plus qu’un timbre-poste. Une fois développées, ces images sont ensuite artificiellement vieillies et physiquement altérées, avant d’être collées directement au mur et assemblées sous la forme d’installations de grande envergure. Par ce choix d’accrochage, le photographe va à rebours du mode de présentation classique de la photographie, de plus en plus remis en cause de nos jours, qui avait été popularisé par le Museum of Modern Art de New York, à savoir des tirages exposés sous cadre, alignés les uns à la suite des autres, à hauteur d’œil. En l’absence de cadres, le spectateur se retrouve en vis-à-vis direct avec les clichés, proximité accentuée par l’utilisation de petits – voire de minuscules – formats, qui créent un nouveau rapport à l’image.

@Yamamoto Masao, Nakazora
La taille réduite des tirages les rapproche davantage de la photographie familiale et de la photographie ancienne que de la photographie artistique contemporaine. Grâce au recours à la miniaturisation et à des formes simples, le photographe parvient à faire résonner ses œuvres dans l’esprit du spectateur, incité à s’approprier les images.

©Yamamoto Masao, Nakazora
Les dimensions de ces images supposent qu’elles relèvent de l’intime, du privé. À partir de ses photographies et parallèlement à ses installations, Yamamoto a également réalisé de petites boîtes qui rappellent des daguerréotypes insérés dans des écrins protecteurs. Pour confectionner ces œuvres, l’artiste place ses photographies à l’intérieur de boîtiers en métal, trouvés dans des brocantes, qu’il recouvre d’une résine transparente. Ces petits boîtiers sous-entendent eux aussi, par leur format et leur aspect, une réception et une contemplation privées.
En réalisant des photographies si minuscules, l’artiste souhaite que ses œuvres puissent tenir “ dans le creux de la main “. La taille de la main sert alors de mesure à la production des images, ce qui explique que les formats moyens soient si rares parmi les œuvres de Yamamoto. Pour que ce souhait ne reste pas en puissance et que les spectateurs puissent réellement manipuler ses tirages, le photographe accompagne la plupart de ses expositions en galerie d’une boîte ou d’une vieille valise en cuir contenant plusieurs dizaines de clichés mis à la disposition des visiteurs, qui sont invités à les toucher sans même avoir à enfiler de gants.

©Yamamoto Masao, Nakazora
Le fait d’abîmer progressivement l’objet en le touchant n’est pas vu négativement – bien au contraire, c’est l’effet recherché. Toutes les altérations du tirage témoignent de cette généalogie de personnes qui sont entrées en contact avec lui : elles sont la manifestation physique de la mémoire de l’objet. Tanizaki Junichirô (1886-1965) avait déjà traité de l’usure des objets qui résulte de leur manipulation dans son ouvrage intitulé Éloge de l’ombre : « Les Chinois ont un mot pour ça, “le lustre de la main”, les Japonais disent “l’usure” : le contact des mains au cours d’un long usage, leur frottement, toujours appliqué aux mêmes endroits, produit avec le temps une imprégnation grasse ; en d’autres termes ce lustre est donc bien la crasse des mains (3). »

©Yamamoto Masao
Yamamoto accentue encore ces marques en détériorant volontairement ses clichés après le développement par différents virages – au thé noir notamment –, puis en déchirant, en cornant, en râpant les bords, en les laissant au soleil ou même en en gardant quelques-uns dans ses poches pendant plusieurs semaines jusqu’à ce qu’il obtienne l’effet désiré. La temporalité ainsi accumulée par les œuvres, devenue presque lisible grâce aux altérations, a pour conséquence d’amplifier encore davantage l’intimité qui s’établit entre le spectateur et les photographies.
L’artiste joue avec le sentiment de nostalgie que dégagent ses images en simulant un anachronisme : malgré leur aspect ancien, ses clichés sont contemporains. Le résultat obtenu est décrit dans un court texte paru en 2006 : « Est-ce le vieillissement accéléré des photographies cornées et jaunies qui donne la grisante illusion de cette intimité de toujours avec ces images ? Comme si nous avions vu toutes ces scènes, sans que nous puissions en avoir le souvenir. […] On ne jalouse pas les minuscules images : elles nous appartiennent déjà tant elles semblent avoir vécu, tant on conquiert rapidement leur petite taille . »

©Yamamoto Masao
Ce goût pour la miniaturisation est bien ancré dans l’esthétique japonaise. Que ce soit dans l’art des jardins et des bonsaïs, dans la taille réduite des pavillons de thé ou dans l’art poétique du haïku, les exemples d’œuvres d’art au format réduit sont nombreux. Il en va de même pour les œuvres de Yamamoto : si celles-ci sont d’apparence modeste, leur dépouillement n’est toutefois que factice puisque c’est le photographe qui a délibérément abîmé ses images et choisi leur petite dimension.

©Yamamoto Masao
Ce dernier déclare dans une entrevue : « J’aime bien l’idée que mes images donnent la sensation de photos anonymes trouvées aux puces, qu’elles aient ce charme et ce mystère et que chacun se les approprie, les découvre et invente sa propre histoire. Je ne donne jamais ni date, ni titre. Ces photos auraient pu être prises en Finlande, au Japon ou ailleurs ; en 1930 ou récemment : peu importe. » De fait, le photographe reste suffisamment discret sur les conditions de prise de vue, le lieu et l’époque pour que les scènes représentées paraissent familières au spectateur. Il travaille sur un au-delà de l’image, sur l’implicite, pour que ses images aient encore plus de résonance chez ceux qui les regardent.

©Yamamoto Masao, A box of Ku #94
Kawa = Flow
Dans ce projet, intitulé Kawa-Flow, Yamamato affiche des tirages en noir et blanc de scènes dépeuplées de la nature réalisés au Japon. Le titre de la série fait référence au voyage du présent au futur, d’une situation concrète à l’inconnu à venir. Il se concentre ici sur les valeurs intemporelles contenues dans l’appréciation de la beauté de notre environnement que l’artiste décompose en petits détails et moments.

©Yamamoto Masao, Kawa=Flow #1550, 6 1/2 x 8 inch silver gelatin print with mixed media, Edition of 20
“Kawa” explore les mouvements, tantôt rapides, ou au contraire imperceptibles, de la nature : le courant figé de la neige, le flux des herbes, une vague ou l’immobilité temporaire des nuages…

Yamamoto Masao, Kawa = flow,#1525, mixed media
Ou encore, comme ci-dessous, le moment où les pétales des cerisiers tombent, moment donnant lieu à une fête au Japon : hanami.

©Yamamoto Masao Kawa=Flow #1534, 2008, 9 x 6 inch silver gelatin print with mixed media
Les images de cette série, se référant à la tradition poétique japonaise, sont issues d’une observation de la nature et d’une méditation sur le caractère passager de notre présence dans ce monde.

©Yamamoto Masao,Kawa=Flow #1562, 6 3/8 x 9 1/2 inch silver gelatin print with mixed media, Edition of 20
A propos d’elles, Masao Yamamoto cite le poète et moine zen Ryokan (1758 – 1831) : une feuille d’érable / montre son envers, son endroit / avant de tomber au sol

©Yamamoto Masao Kawa=Flow #1559, 6 x 9 inch silver gelatin print with mixed media, Edition of 20
Dans la photo ci-dessous, l’interdépendance entre l’humain et le monde, entre l’instant et l’éternité est astucieusement exprimé par le rapprochement de la main qui continue la ligne des arbres et la balle qui semble appartenir au ciel et représenter le soleil, la lune ou une planète indéterminée.

©Yamamoto Masao Kawa=Flow #1533, 6 1/4 x 8 1/4 inch silver gelatin print with mixed media, Edition of 20
Par rapport à ceux des séries précédentes, les tirages de Kawa, toujours réalisés par Yamamoto, sont d’un format légèrement supérieur et ne portent pas de traces d’usure volontaire.
Bonsaï – Microcosm-Macrocosms

©Yamamoto Masao Bonsai #4035
Jouant sur une distorsion d’échelle, Yamamoto inscrit le microcosme qu’est le bonsaï dans le macrocosme de l’univers : vide du ciel, sol enneigé aux limites floues, obscurité d’une nuit sans fin…

©Yamamoto Masao, Bonsai, # 4001, Pigment print on archival paper, flush mounted to dibond (90.81 x 70.49 cm), Edition of 5

©Yamamoto Masao, Bonsaï #4012 Gelatin silver print, (25.40 x 33.66 cm), Edition of 10
Le livre photographique
Historiquement, la photographie japonaise a une relation très forte au livre. Sans doute parce que la tradition japonaise du livre illustré, depuis l’estampe, est à la fois inventive, techniquement et artistiquement, et bénéficie d’un important public de lettrés, amateurs et collectionneurs. Mais cela s’explique également par une renaissance artistique de la photographie japonaise d’après-guerre qui ne trouvait pas de meilleur lieu pour s’exprimer que le livre (elle n’avait pas encore sa place au musée ou dans les galeries). Les photographes Eikoh HOSOE, Shomei TOMATSU, Kikuji KAWADA, Yasuhiro ISHIMOTO (pour ne citer qu’eux) ont, dans les années soixante, bénéficié de ce savoir faire et de cette richesse de l’édition japonaise pour publier des livres qui sont parmi les plus remarquables de l’histoire du médium et qui sont actuellement très recherchés par un nombre croissant de collectionneurs. (4)
S’ingéniant à se libérer de la classique double-page, Masao Yamamoto prolonge cette histoire : les livres qu’il a publié jusqu’à présent montrent en effet une inventivité dans la forme qui les destine à entrer dans cette riche histoire de l’édition du livre photographique.
Par ailleurs, c’est dans leur accumulation et leur mise en relation que l’artiste donne un sens à ces ensembles de tirages de petit format, si fragmentaires de prime abord, mais qui, au final, parviennent à faire écho dans l’imaginaire du spectateur. Ses livres, comme par exemple Omizuao (cf. ci-dessous), mettent en relation ses images dans un flot continu, grâce au choix du livre accordéon, tout en les inscrivant dans un vide calculé.

Yamamoto Masao, Omizuao

Yamamoto Masao , Omizuao
Nakazora, pour faire écho à la tradition japonaise, se présente comme un rouleau à déployer et reprend la forme très ancienne du maki-e («rouleau d’images»), une longue et unique feuille de papier enroulée sur un cylindre de bois, mettant en scène une association libre d’images se déployant sur un unique espace de papier.

Yamamoto Masao, Nakazora
Le format de ses images, leur usure, leur agencement ou leur mise en scène tendent à plonger le spectateur dans la conscience du temps qui passe, dans l’impermanence de toutes choses et dans le flux de la vie du monde dans laquelle il s’inscrit.
Pour d’autres photographes japonais voir
Photographie : TOMATSU Shômei et le documentaire subjectif
HOSOE Eikoh et la photographie expérimentale
Shoji Ueda : un photographe amateur
Notes
(1) Sara Maso,« Seeing and Experiencing – The Suggestive Work of Masao Yamamoto », Foam magazine, n° 14, printemps 2008.
(2) Corinne Atlan et Bianu Zéno, « Le Sublime au ras de l’expérience », dans Haïku. Anthologie du poème court japonais, Paris, Gallimard, 2002, p. 11.
(3) Tanizaki Junichirô, Éloge de l’ombre [ 1933, trad. fr. René Sieffert], Paris, Publications Orientalistes de France, 1977, p. 37.
(4) Didier Brousse, « Japon. La passion du livre d’auteur à travers trois générations. Yasuhiro Ishimoto, Kikuji Kawada, Masao Yamamoto », Réponses Photo, hors série n° 3, automne-hiver 2006, p. 74.
Bibliographie
Quinze livres, à notre connaissance, ont été publiés par le photographe.
- A box of Ku, Nazraeli Press (en), États-Unis, 1998
- Nakazora, Nazraeli Press, États-Unis, 2001
- The Path of Green Leaves, One Picture Book 16, Tucson, Nazraeli Press, 2002
- Santoka, Harunatsuakifuyu sousho, Japon, 2003
- Omizuao, Nazraeli Press, États-Unis, 2003
- é, Nazraeli Press, États-Unis, 2005
- Fujisan, One Picture Book 48, Nazraeli Press, Portland, États-Unis, 2008
- YAMAMOTO MASAO, 21st Editions, États-Unis, 2011
Avec texte et poème de John Wood (en).
- 川KAWA=Flow, Kochuten Books, Japon, 2011
- Where we met, Lannoo Publishers, Belgique, 2011
En collaboration avec la peintre et dessinatrice belge Arpaïs Du Bois.
- Tori, Radius Books, 2016
- Poems of Santoka, Galerie Vevais, 2016.
- Yamamato Masao Bonsai : microcosms macrocosms, T&M Projects, 2019
- Yamamoto Masao, Sasanami, Ikki, 2020
- Yamamoto Masao : son album, T&M Projects, 2021
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