La peinture de bambou (2) : Li Kan

Bambous et oiseaux, Li Kan, (1245-1320)

Peintre de la Dynastie des Yuan (dynastie mongole, 1271-1368), actif à Jikiu, près de Pékin, Li Kan est un maître de la peinture de bambous. Il est également  l’auteur d’un recueil sur les bambous, le Zhupu. Bon peintre, il aime se promener dans les bambouseraies pour observer le comportement des branches dans le vent et la pluie, dans le soleil et la brume, d’où le caractère très vivant de ses compositions. 

Biographie

Li Kan, Bambou

Né en 1245 et mort en 1320,  Li Kan, haut fonctionnaire, occupe une série de postes dans l’administration mongole; il n’est pas un lettré “retiré”, il voyage beaucoup en Chine du Sud, il observe les différentes espèces de bambous jusqu’en Annam. L’étude systématique que Li Kan fait au cours de ses voyages officiels de la croissance réelle des bambous, aussi bien que des peintures les représentant, fonde sa description méticuleuse des pousses, des masses de feuillage qui se chevauchent et du vert ombré des feuilles. Quand il se rallie aux Mongols, il est envoyé en mission au Jiaozhi (Cocinchine). Il terminera sa carrière comme président du ministère de la Fonction publique.

Le Zhupu (Traité du bambou)

Li Kan, Bamboos with crooked trunks and stones, Palace Museum, Beijing.jpg

Inauguré par Su Shi et Wen Tong (voir ici) et d’autres artistes lettrés de la fin des Song du Nord, et poursuivi par quelques artistes travaillant dans le Nord sous la dynastie des Jin, le genre du bambou fut repris par tant d’amateurs enthousiastes et largement autodidactes au début des Yuan  que Li Kan, peintre de bambous le plus réputé à l’époque, leur témoigne son mépris dans son Zhupu, ou “Traité sur le bambou“. Il y met en évidence la nécessité d’un enseignement approfondi que, selon lui, les amateurs dédaignent mais dont ils ont besoin.

Li Kan, Peace Throughout the Four Seasons, NPM,Taipei

Il écrit qu’ils “visent trop haut et sautent les marches intermédiaires, se déchargent de sentiments passagers en barbouillant et peinturlurant à leur gré. Ils croient qu’en se libérant ainsi de l’artisanat laborieux, ils ont atteint “l’art” par le biais du “naturel”. Plus loin :la plupart des artistes lettrés amateurs, sont moins préoccupés d’exprimer les propriétés de leur sujet que de manifester leur culture et leur subjectivité à travers le travail au pinceau et les figures de style.”

Dans son traité, il insiste sur l’importance de la maîtrise technique et sur la nécessité de saisir la ressemblance formelle. Un style très libre est dangereux pour un débutant, et la composition d’une peinture est chose difficile. Li déclara par ailleurs que le peintre devait posséder “le bambou complet dans [sa] poitrine(1), et il exhorta les hommes d’État à se lancer dans la peinture de bambou pour discipliner leur esprit et élargir leur champ de vision.

Les deux styles de Li Kan

Bambou et rocher , Li Kan, dynastie Yuan, rouleau mural, palace Museum, Beijing

 

Ses peintures de bambous relèvent de deux styles distincts. Dans l’un, la manière goule ou shuanggou, les contours des tiges et des feuilles sont dessinés à l’encre et colorés. Bambous et rochers, ci-dessus, est un excellent exemple de la première manière. Il ne porte aucune signature, seulement deux sceaux de l’artiste. De même, achevés  en 1318, les deux panneaux ci-dessous également réalisés dans le style shuangou, (ou “double contour”),  Cette technique, dans laquelle des contours d’encre finement dessinés sont remplis de pigments minéraux denses, était parfaitement adaptée à l’identification intense de Li Kan avec le bambou. Minutieusement observées et rendues de manière complexe, ces plantes nobles reflètent le sens aigu de la réalité de Li  Kan, même si les rochers ne sont pas exempts de stylisation  et rapprochent la peinture des arbres du portrait.

 

Bamboo and rocks dated 1318 Li Kan

 

L’autre style utilise l’encre monochrome, suivant la tradition de Wen Tong, qui modèle les sections de tiges, les brindilles et les feuilles à traits de pinceau amples, avec des nuances d’encre variées pour rendre l’endroit et l’envers de feuilles et les cylindres des tiges, aussi bien que pour distinguer les plans plus proches ou plus lointains de la profondeur. Un exemple nous en est donné ci-dessous.

Giant_Bamboos_and_Stones_by_Li_Kan

Li Kan, Bambou

 

 Les trois amis du froid

Le bambou appartient aux “trois amis de la saison froide”((Shuihan sanyou).  Un critique de l’époque des Song du Sud, Wang Guixue, regroupe sous ce titre le pin, le bambou et le prunier, dont les fleurs éclosent dans la neige. Les « trois amis » ont valeur de symbole. Le Catalogue de la Collection impériale (Xuanhe huapu) les présente comme « flore de quiétude et de paix ». De cette flore, le pin est le plus anciennement célébré.

Les quatre puretés

Dans l’encre sur papier ci-dessous, Li Kan célèbre  “quatre puretés” :  nous y voyons le bambou, la branche de prunier et l’orchidée (à gauche du rocher). A cela s’ajoute généralement le chrysanthème, mais nous ne le voyons pas sur la peinture.

Nous en montrons une vue totale ainsi que deux détails.

Li_Kan,_Four_Purities,_Palace_Museum,_Beijing

Li Kan, les quatre puretés, détail de droite

Li Kan , quatre puretés, détail de gauche

La culture chinoise vénère quatre plantes symboliques, les Quatre Nobles Plantes, aussi appelées les Quatre Fleurs Vertueuses : le chrysanthème, le bambou, l’orchidée et la fleur de prunier. Ces quatre fleurs vertueuses ont été longtemps représentées dans les peintures chinoises anciennes pour exprimer la droiture, l’élévation, la modestie et la pureté de lettrés chinois. Les caractéristiques de ces plantes révèlent des points communs avec les vertus humaines. Alors que le bambou représente la vitalité et la longévité, le chrysanthème, aussi appelé Fleur d’Or, est une fleur traditionnelle aimée par le peuple chinois car il symbolise la gaieté, la vivacité et l’aisance. Le prunier, résistant au froid et au vent, rappelle souvent le caractère inflexible de l’homme. Enfin, l’orchidée, dont le parfum aide à chasser les mauvais esprits, incarne la pureté spirituelle et est considérée comme l’ancêtre de tous les parfums. Ces quatre nobles plantes symbolisent l’intégrité, l’endurance, la fidélité et la persévérance.

La peinture des bambous et la calligraphie

La peinture de bambous est d’autant plus chère aux lettrés que ses liens avec la calligraphie sont plus étroits. Li Kan met fortement l’accent sur cet apparentement dans son Zhupu. Nous terminerons donc cet article par cette citation : “Comme se nouent les traits dans un caractère d’écriture, les quatre parties du bambou s’organisent entre elles. La tige, les nœuds, les branches et les feuilles forment un corps unique, un tout cohérent.”

Notes

(1) Nous avons parlé de cette expression (“Xiong You Cheng Zhu,” dans notre article sur Wen Tong : traduite également par la phrase : “avoir un bambou fini dans la tête”.

Bibliographie

Yang Xin, Richard M. Barnhart, Nie Chongzheng, James Cahill, Lang Shaojun, Wu Hung (trad. de l’anglais par Nadine Perront), Trois mille ans de peinture chinoise : [culture et civilisation de la Chine], Arles, Editions Philippe Picquier,

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