
Zheng Xie, encre sur papier,178 x 96 cm
Egalement appelé Zheng Banquiao, renommé pour sa calligraphie autant que pour sa peinture, Zheng Xie est né en 1693 et mort en 1765 à Yangzhou. Fonctionnaire sous la dynastie des Qing, (mandchous, 1644-1911), calligraphe, poète et peintre, spécialisé dans la peinture de bambous, de rochers et d’orchidées, il faisait partie des “huit excentriques de Yangzhou” et vécut de sa peinture.
Biographie
Né dans une famille de lettrés de Xinghua dans le Jiangsu , il est éduqué dans la tradition lettrée, avec l’espoir d’une prestigieuse carrière de fonctionnaire. Il obtient le grade de licencié provincial en 1732, à l’âge de trente-neuf ans. Quatre ans plus tar, après avoir réussi les examens de la fonction publique et obtenu le grade de jinshi (le plus haut degré final dans l’examen impérial) , il commence à servir comme fonctionnaire du gouvernement. Il travaillera dans l’administration locale pendant douze ans, mais perdra son poste pour avoir offensé ses supérieurs. Compatissant avec le sort des gens alors en proie à la famine, Zheng a appliqué des mesures extrêmes pour améliorer leur situation qui ont rencontré la résistance des citoyens les plus riches de la région. Sa désillusion face à l’éthique bureaucratique, sa santé en décomposition et sa réputation entachée par le scandale ont forcé Zheng à prendre une retraite anticipée. Il s’installe à Yangzhou, alors une communauté prospère qui soutient les artistes, où il devient connu comme l’un des huit excentriques.

Zheng Xie, bambous, rochers et orchidées

Zheng Xie, bambou
Zheng Xie fut un prodigieux peintre de bambous, d’orchidées et de rochers. On prétendait qu’il peignait “des orchidées que ne se fanent jamais, des bambous toujours verts, des rochers inaltérables et des hommes immuables”. En d’autres termes , ses tableaux d’orchidées, rochers et bambous symbolisaient les gens honnêtes, fidèles et constants. Il aimait la résistance des rochers et la vigueur des orchidées, et les peignait pour réconforter ceux qui travaillaient dur, non pour plaire à la classe oisive. Sur la peinture de droite, d’une grâce absolue, les quatre tiges minimalistes de bambous sont parsemées de quelques feuilles et brindilles qui s’harmonisent parfaitement avec la calligraphie qui alterne traits épais et filiformes.
Les huit excentriques de Yangzhou
Dans la peinture chinoise du XVIIIe siècle, on distingue deux grandes tendances : celle des peintres de cour exerçant dans la région de Pékin et celle des peintres lettrés de la prospère cité sudiste de Yangzhou. Les sujets traités par les artistes de la cour selon les goûts de l’empereur Qianlong (1736-1795) sont peints dans un style particulièrement soigné, mais dépourvu de spontanéité.

Zheng Xie bambous
Aux peintres organisés et réglés de la cour s’opposent ici les peintres vagabonds, épris de liberté et à la recherche d’un art nouveau : ainsi, chacun tend à trouver un langage personnel et exprime sans artifice ses propres sentiments.

Zheng Xie , calligraphie et bambous
Ceux qu’on a nommés les Huit Excentriques (Ba Guai) sont les plus connus parmi les nombreux adeptes de ce mouvement. Originaires du Sud, et pour la plupart sans titres de lettrés — seuls trois d’entre eux ont eu la chance d’être fonctionnaires, une expérience dont les a vite écartés leur trop grande bonté et leur naïveté dans l’exercice de cette charge —, d’une nature ouverte et d’une valeur personnelle singulière, excellents poètes et calligraphes, ces hommes de génie étaient réduits à monnayer leurs peintures et souvent à loger dans les temples.

Zheng Xie, calligraphie, rochers et bambous
Les Huit excentriques – Li Shan, Wang Shishen, Jin Nong, Huang Shen, Li Fangying, Gao Xiang, Luo Ping et Zheng Xie – impriment de nouvelles idées et techniques à la peinture d’oiseaux-et-fleurs, de bambous et de rochers, favorisent la pleine expression de l’individualité de l’artiste et exercent une influence profonde sur les peintres des générations suivantes. Chacun de ces artistes met l’accent sur l’expression et la perfection de la personnalité individuelle, refusant de suivre les règles établies de quelque peintre ou école de peinture que ce soit.

Zheng Xie, ink-bamboo
Ci-dessous, une peinture monumentale à quatre panneaux qui représente un bosquet de bambous poussant à flanc de montagne. L’espace pictural peu profond est défini par le placement des tiges qui font saillie depuis le bas de la composition, grimpent sur le papier comme si elles montaient une pente et s’étendent bien au-delà du haut de l’image. Il est en outre défini par l’utilisation spectaculaire de lavis d’encre gradués – du noir de jais au gris pâle – qui suggèrent les effets de voile d’une brume dense. L’artiste a inscrit le tableau deux fois : en haut à droite, avec un titre et une date, et en bas à gauche, avec sa signature et ses sceaux.

Zheng Xie, Misty bamboo on a distant Mountain, Metropoliatan Museum
Un poème sur les bambous
Sur une peinture de bambou qu’il offrit en cadeau au gouverneur du Shandong, il écrivit :
Couché dans sa maison, écoutant le frémissement des bambous, / On croit entendre les plaintes du peuple / Tout petit fonctionnaire que je suis / me concernent des sujets aussi menus qu’une feuille.
Zheng Xie octroyait au bambou de nombreux usages : il représentait ses dispositions d’esprit, exprimait ses amitiés, raillait l’injustice de la société et se faisait la voix des désirs du peuple.

Bambous et rocher, Zheng Xie
Le pieds des bambous croisent avec naturel, tandis que les feuilles, disposées à la perfection, rythment la peinture à l’encre monochrome : le contraste du noir et du blanc et la pureté du style suggèrent la paix que l’on peut trouver dans la nature. L’on remarquera, dans l’oeuvre ci-dessus, un double mimétisme : la calligraphie, à l’instar des feuilles de bambous, alterne les tons clairs et foncés ; par ailleurs les rochers, à l’instar de la calligraphie, sont représentés par différents traits horizontaux et verticaux qui semblent représenter quelque caractère énigmatique. De même, à l’intérieur de la seule peinture, certaines feuilles claires des bambous se confondent avec les reliefs des rochers. Interpénétration des éléments du monde qui fait écho à l’interpénétration de la calligraphie et de la peinture.

Zheng Xie, Bambou et rocher
L’oeuvre ci-dessus, entremêle de façon différente peinture et calligraphie : les reliefs des rochers sont composés par la calligraphie elle-même qui fait partie intégrante de la peinture, et inversement le contour des rochers – utilisés tels des phylactères – mettent en évidence la calligraphie.
Les trois perfections
Zheng Xie déclarait qu’il lui avait fallu quarante ans pour parvenir au charme original, expressif et plein de grâce des bambous et pour maîtriser les trois étapes par lesquelles passait leur représentation : “Les bambous dans mes yeux, les bambous dans mon coeur, les bambous dans ma main. Commence par observer et étudier le bambou, écrivait-il, afin de te familiariser avec ses dispositions et caractéristiques avant de composer la peinture dans ton esprit. Peins-le ensuite sur du papier ou de la soie. Une fois ces deux premières étapes accomplies, le processus de la peinture s’impose à toi comme ce que l’on nomme “éclair et tonnerre”, et les plantes ont l’air d’avoir “poussé à l’état sauvage”. Généralement Zheng accompagnait ses oeuvres d’un long passage ou d’un poème ; la calligraphie, le poème et la peinture combinés étaient considérés comme les sanjue, “les Trois Perfections”.

Bambous et-rocher, Zheng-Xie
Toujours cette même caractéristique de l’interpénétration : ici ce sont les tiges de bambous qui font écho aux verticales des rochers ; quant à la calligraphie, elle dessine comme le sol touffu d’une flore inconnue, (pousses de bambous) de laquelle jaillissent les bambous et les rochers. Les feuilles sombres, elles traversent la peinture en deux diagonales pour s’évanouir en taches claires dans le ciel.
Dans la peinture ci-dessous, c’est l’angle du point de vue qui est surprenant : presqu’en contre-plongée, ce qui rend la composition de l’œuvre tout à fait originale.

Xeng Xie bambou, rochers et orchidées
Les rochers s’éloignent avec un effet de perspective tout à fait inhabituel. Quant aux orchidées, au lieu de tapisser le sol, elles s’élèvent verticalement et poussent à l’horizontal sur le rocher qui se fait sol le temps d’un regard. Les bambous épars et maigres, ornés de quelques feuilles seulement, mêlés aux fleurs d’orchidées, encadrent la peinture en haut à gauche et en bas à droite. Vision hautement subjective…Tout à gauche le texte fait partie du rocher duquel jaillissent les orchidées pour donner sa stabilité à la peinture autant qu’aux éléments de la nature.

Zheng Xie, bambou et rocher
L’originalité de Zheng Xie est incontestable et l’on ne peut manquer d’être frappé par sa profonde cohérence : comme s’il avait peint toute sa vie les mêmes bambous et les mêmes rochers, ajoutant à chaque fois une nouvelle vision pour exprimer l’essence même de ce que peut être le bambou ou le rocher. Peut-être est-ce cela saisir le “li” (principe) des choses ?
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