
Kengo Kuma, Musée Nezu, avant-toits, mur de bambous
Kengo Kuma est connu pour son travail innovant, avec des matériaux naturels tels que le bois, et pour son habilité à créer des designs contemporains qui embrassent l’esthétique japonaise traditionnelle. Fusionnant histoire et modernité, il prône une architecture qui prenne son sens depuis le lieu ou le milieu dans lequel elle s’intègre.
La logique du lieu
“Ce que je veux faire, c’est à chaque fois me rendre sur le site, y trouver quelque chose comme une logique du lieu, et concevoir dans chaque cas sous forme d’architecture quelque chose qui soit véritablement connecté au lieu.” (I) Par cette affirmation, Kengo Kuma entend dépasser le rationalisme et le fonctionnalisme et les grands volumes de béton de l’ère moderne en prenant appui sur “une terre puissante” (I) pour ériger des projets érigés dans leur sol. Il s’agit donc d’intégrer le milieu jusque dans les plus petits détails. Il poursuit “Visiter toutes sortes de lieux, les ressentir avec son propre corps, pour employer une expression japonaise, “installer” son corps à l’intérieur du lieu, permet de se rendre compte de sa valeur.“(I)
Nous prendrons comme exemples de cette assertion, d’une part, le musée Nezu et, d’autre part, le Musée Meiji-Jingu situés tout deux à Tokyo.
Le Musée Nezu
Créé en 1941 par l’homme d’affaires, politicien et philanthrope Kaïchiro Nezu sur ses terres familiales, ce musée d’art et d’artisanat anciens japonais fut fermé en 2006 pour rénovation. La conception d’un bâtiment entièrement nouveau fut confiée à Kengo Kuma et ses associés.
L’extérieur
Le jardin du musée abrite quatre maisons de thé et le nouveau pavillon Nezu café. Des cérémonies traditionnelles s’y déroulent et, fait exceptionnel, l’une des ces maisons a pris la forme d’un bateau flottant sur le lac. “Le lac est considéré comme un élément très important des jardins japonais ; à la maison de thé de la villa impériale de Katsura, par exemple, les nobles naviguaient en bateau en sirotant un thé.”(III)

Kengo Kuma, Musée Nezu, une maison de thé
L’architecte explique son cheminement : “Pour commencer nous nous sommes consacrés au chemin menant au musée.

Kengo Kuma, Musée Nezu, chemin. Photo©Shikenchiku-Sha
Dans la conception des maisons de thé japonaises le bâtiment est considéré comme moins important que le chemin, le roji (1), qui y conduit, et les maîtres de thé d’autrefois considéraient que le voyage le long du roji permettait aux participants de mieux s’immerger dans le temps lent de la cérémonie du thé. Nous avons conçu un long chemin ; les visiteurs ont à parcourir une distance de cinquante mètres avant d’aborder le bâtiment par les avant-toits profonds qui débordent sa façade de quatre mètres.

Kengo Kuma, Musée Nezu, avant-toits, mur de bambou. Photo©Shikenchiku-Sha
Nous voulions qu’ils savourent les ombres projetées par les avant-toits et apprécient le mur de bambou.” (III). Il s’inspira pour cela du célèbre auteur de “L’éloge de l’ombre“, Juni’chirô Tanizaki (2) qui soutenait que l’esthétique japonaise et la beauté de l’architecture traditionnelle résidaient dans son habileté à manier les ombres. Par ailleurs, ce mur de bambou symbolise le lien entre l’intérieur et l’extérieur également très important dans la tradition architecturale japonaise. “Un aspect unique de la culture japonaise est le lien profond entre les bâtiments et les jardins“, explique Kuma. “Je veux revenir à cette tradition.” Les pavés en grès noir renforcent cet effet d’ombre, tandis que les murs en bambou l’atténuent. Deux rangées de bambous vivants séparent le bâtiment de la rue et des tiges fendues ornent la façade, forgeant des liens avec le jardin et l’intérieur.
Kengo Kuma dessina également le jardin autour du musée

Kengo Kuma, Musée Nezu, jardin. Photo©Shikenchiku-Sha
Le toit
La caractéristique la plus distinctive du musée – son toit -– est une citation directe de l’histoire japonaise mais rendue de manière plus abstraite, convenant à un musée contemporain dans un cadre urbain. Alors que son image traditionnelle relie le contenu et le contenant du musée, la forme inclinée, dit Kuma, distingue le Nezu des bâtiments publics impopulaires en forme de boîte à travers le pays qui ne se fondent pas avec l’environnement japonais. « Un toit en pente harmonise le sol et l’architecture » (III), explique-t-il. “Il est un intermédiaire qui relie les hommes et le ciel”. (I)

Kengo Kuma, musée Nezu, toit. Photo©Shikenchiku-Sha
Les carreaux de céramique de couleur anthracite recouvrent toute la surface du toit et leur texture uniforme accentue les plans inclinés. Au lieu de se terminer par la fioriture décorative typique au niveau de la crête ou de la gouttière, les surfaces mates se terminent par des avant-toits effilés et tranchants faits de tôles d’acier de qualité industrielle – le même matériau qui recouvre les murs extérieurs du musée.
L’intérieur

Kengo Kuma, Musée Nezu, intérieur. Photo©Shikenchiku-Sha
Un espace de réception intime jouxte une vaste salle de sculptures surplombant le jardin.

Kengo Kuma, Musée Nezu, galerie des culptures. Photo©Shikenchiku-Sha

Kengo Kuma, Musée Nezu, salle des sculptures

Kengo Kuma, Musée Nezu, salle des sculptures
À l’intérieur du musée, Kuma a utilisé bon nombre des mêmes matériaux, notamment des sols en grès et du bambou. Complétant les ustensiles de thé délicats exposés, des panneaux de bambou aux détails exquis recouvrent les murs et les plafonds. De plus, l’architecte a conçu des bancs polyvalents en forme de L à partir de bambou et de bois récupérés dans les anciens entrepôts du musée. Aujourd’hui, ces bancs sont l’un des rares rappels de la maison d’origine de la collection. De larges avant-toits ombragent l’élévation vitrée donnant sur le jardin et créent une zone de transition entre l’intérieur et l’extérieur.

Kengo Kuma, Musée Nezu, bancs et plafond, Photo©Shikenchiku-Sha
Un café, qui se situe entre le nouveau bâtiment et l’ancien, utilisé à présent pour les cuisines et les archives, occupe son propre pavillon de jardin conçu par Kuma. Unissant l’intérieur et l’extérieur, les parois de verre laissent apparaître le jardin ou le reflètent.

Kengo Kuma, Muse Nezu, café
Alors que les ailettes en verre fixant le mur minimisent les châssis de fenêtre bloquant la vue, les colonnes oblongues en acier massif soutiennent sans effort les poutres de plafond qui permettent la portée libre des 149 mètres carrés de la pièce. Le café entoure les convives avec vue sur le jardin et la lumière du jour filtrée par des parties translucides du toit. Le plafond incliné fait écho au toit en pente du bâtiment.

Kengo Kuma, Musée Nezu, café, Photo©Shikenchiku-Sha
Le musée Meiji Jingû
L’année 2020 a marqué le 100e anniversaire de l’enchâssement des âmes de l’empereur Meiji et de l’impératrice Shoken au sanctuaire Meiji-jingu. Situé à côté du parc Yoyogi dans le quartier de Tokyo Shibuya, le sanctuaire Meiji Jingu est un temple shinto dédié aux esprits déifiés de l’empereur Meiji (1852-1912) et de son épouse, l’impératrice Shôken (1849-1914). Chaque mois de janvier plus de 3 millions de visiteurs viennent y prier pour que l’année nouvelle leur soit favorable : une coutume connue sous le nom de hatsu-môde (première visite au sanctuaire).
La situation du musée
Au centre de la forêt le sandô monte au sanctuaire. Il suit une courbe en L, contrastant avec les parcours processionnels en ligne droite qui mènent aux édifices religieux en Chine ou en Europe. les courbes permettent que la vue évolue continuellement, ce qui aide les visiteurs à cheminer vers un lieu plus profond et plus spirituel. Au milieu de sandô se tient le shinkyo (pont sacré) , à côté duquel se dresse en toute discrétion, le bâtiment conçu par KK. “Nous avons senti que c’était à la forêt sacrée de jouer le rôle principal, et que le bâtiment devait rester en retrait.” (III)

Kengo Kuma, Musée meiji jingu, façade, ©Photography by Kawasumi・Kobayashi Kenji Photograph Office
L’extérieur
Le sanctuaire Meiji-Jingu, entouré d’une belle et dense forêt, a été conçu pour s’intégrer parfaitement au paysage naturel alentour. L’objectif de KK était de travailler en harmonie avec la forêt, si bien que le musée semble se fondre dans les arbres. “Nous avons considéré que les terres forestières du sanctuaire devaient jouer un rôle principal, l’architecture se fondant dans les arbres », explique l’entreprise de kuma, KKAA. « au premier coup d’oeil la forêt semble primitive, mais l’emplacement avait été précédemment un champ plat. Après la mort de l’empereur Meiji, des arbres ont été ramassés dans tout le japon et plantés par des bénévoles. Selon les experts, la croissance abondante de la forêt au cours du siècle dernier a été tout simplement miraculeuse.”

Kengo Kuma, Musée Meiji-Jingu, forêt, ©Photography by Kawasumi・Kobayashi Kenji Photograph OfficeL’intérieur
Par conséquent, les architectes ont cherché à réduire l’échelle apparente du bâtiment.
Le toit
Le toit “irimoya” (toiture brisée) est spécifique au Japon. Comme pour les toitures en croupe, les avants-toits sont bas, ce qui permet au bâtiment de se fondre dans sont environnement, tout en créant de la hauteur au centre. Faire disparaître le bâtiment dans la végétation impliquait, outre le fait de limiter la hauteur de l’avant-toit, de diviser le toit en formes plus petites avec des bords effilés, et de segmenter le haut mur.
Certaines parois extérieures du musée utilisent un métal gris foncé spécialement traité pour créer une légère sensation texturale (Yamato-hari). “Yamato dérive de l’ancien nom de Nara, autrefois capitale du Japon ; c’est une technique que l’on retrouve fréquemment dans les vieux sanctuaires et les rues traditionnels.” (III)

Kengo Kuma, Musée meiji-Jingu, toit©Photography by Kawasumi・Kobayashi Kenji
L’intérieur

Kengo Kuma, Musée Meiji-Jingu, intérieur,© Kawasumi・Kobayashi Kenji
A l’intérieur, les colonnes élancées qui soutiennent le corps du musée produisent une impression de rythme. Elles sont fabriquées à partir d’une combinaison d’acier et de bois.

Kengo Kuma, Musée Meiji-Jingu, fragmentation de la paroi, ©Photography by Kawasumi・Kobayashi Kenji Photograph Office
L’on dirait que le musée possède une structure en bois, mais le code des incendies de Tokyo n’autorisant pas l’utilisation du bois comme matériau porteur pour les bâtiments publics, le mélange acier-bois a été conçu pour l’ossature. Un détail : les “espaces entre les chevrons en H des plafonds ont été remplis d’une planche de cyprès pour équilibrer la netteté de la structure et l’atmosphère chaleureuse et douce de l’espace”.

Kengo Kuma, Meieji-Jingu museum, interior, Photo © Kawasumi・Kobayashi Kenji
Les arbres et le bois ont plusieurs significations dans ce projet. Puisque le Meiji Jingu est un sanctuaire shinto, et selon la religion shintoïste, les kami (esprits) peuvent habiter toutes les parties de la nature, y compris les arbres, les architectes ont accordé une attention particulière à cette « sainteté ». Les quelques arbres abattus pour faire place au nouveau musée, dont le zelkova et le camphrier, ont été réutilisés pour le mobilier et les surfaces intérieures. Les architectes l’ont fait “afin de souligner l’importance de recycler les précieuses ressources de la forêt” et de garder les esprits de la forêt indemnes.
Abattus lors de la construction du musée, notamment le zelkova et le camphrier, les arbres ont été principalement réutilisés pour le mobilier et l’intérieur afin de souligner l’importance du recyclage des précieuses ressources de la forêt.

Kengo Kuma, Musée Meiji-Jingu, intérieur
Par ailleurs, le keiyaki (zelkova en latin) est le bois préféré de Kuma, en raison de son aspect, de son odeur et de son toucher, de ses qualités d’absorption de l’humidité et du fait qu’il peut facilement être transformé en placage. Le boulevard le plus célèbre de Tokyo, Omotesando, qui mène au sanctuaire Meiji, est bordé d’arbres keiyaki et c’était une raison supplémentaire pour l’employer.
Un trésor d’histoire
Le musée Meiji-jingu expose des biens culturels importants transférés depuis le musée des trésors Homotsuden (actuellement fermé) du sanctuaire Meiji-jingu. Parmi ceux-ci, on trouvera notamment la calèche utilisée par l’empereur Meiji il y a 130 ans, le jour où il signa la constitution du Japon. Ces expositions mettent les projecteurs sur des moments clés de l’histoire du Japon.
Le rez-de-chaussée présente de façon simple le sanctuaire Meiji-jingu et la religion shinto. C’est aussi là que se trouve la boutique du musée. Le premier étage est, quant à lui, constitué de zones pour les expositions permanentes et spéciales. L’histoire du sanctuaire est expliquée dans plusieurs pavillons, tout comme celle du grand bois qui l’entoure, avec ses plus de 100 000 arbres transportés de différentes parties de l’archipel à la mort de l’empereur. Une magnifique fusion entre histoire et modernité.
Conclusion
L’architecture de Kuma sert de charnière physique et métaphorique reliant l’ancien et le nouveau, l’intérieur et l’extérieur, la haute technologie et la tradition. Les éditions Taschen ont publié un magnifique livre sur lui https://www.taschen.com/pages/fr/catalogue/architecture/all/01192/facts.kuma_complete_works_1988today.htm
Notes
(1) Roji : pour plus de précisions concernant le roji, voir l’article qui lui est consacré ici.
(2) L’éloge de l’ombre : pour plus de précisions concernant cet ouvrage, voir l’article qui lui est consacré ici.
Bibliographie
I. Kengo Kuma, le caractère des lieux, Revue AA, hors série/projects, mai 2018
II. L’architecture naturelle, Kengo Kuma, Ed. Arléa, 2020 (EO, 2008)
III. Une vie d’architecte à Tokyo, Kengo Kuma, Ed.Parenthèses, 2021
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