Kengo Kuma : Maison Grande Muraille

Kuma Kengo, Maison grande muraille

« Quand une chose entretient une relation heureuse avec le lieu où elle se trouve, nous ressentons cette chose comme naturelle. C’est le mariage heureux de l’architecture et du lieu qui engendre l’architecture naturelle. » (II)

Le projet

Au commencement était un vaste projet faisant intervenir dix architectes asiatiques chargés de créer dix résidences, chacun afin de développer une communauté écologiquement durable dans une forêt voisine de la Grande Muraille à une dizaine de kilomètre de Pékin. Kengo Kuma explique que, dans ce contexte, il a naturellement pensé à construire un mur ou une muraille plutôt qu’une maison. Son objectif était de perturber le moins possible le site.

Kengo Kuma, great wall bambou, extérieur

Le site et l’absence de fondations

Le terrain était une friche où les arbres ne poussaient plus guère, totalement dépourvue de surface planes, raison pour laquelle la Grande Muraille a un profil en hauts et en bas aussi vertigineux. Kengo Kuma proposa donc de construire un bâtiment de bambous directement à même la pente du site sans le moindre terrassement, reprenant en cela la méthode “Grande Muraille”, c’est-à-dire en enfonçant les murs dans le sol.”J’ai tout de suite pensé qu’il ne fallait surtout pas, autant que faire se peut, toucher au terrain mais, au contraire, travailler le fond du bâtiment pour l’adapter au relief onduleux.(…) En s’inclinant devant la topographie, on  s’inclinait devant la nature.”(II)

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Plan et structure

La maison elle-même est rigoureusement orthogonale et tranche ainsi avec le terrain accidenté, comme le montre l’image ci-dessus.

Le bambou

Le bambou symbole d’un échange culturel

Kengo Kuma, great wall bamboo

Nous avons choisi le bambou, car il rapproche les cultures. Apporté de Chine il y a longtemps, il symbolise les échanges culturels entre les pays. Nous avons voulu que le bâtiment, lui aussi, symbolise les échanges culturels. (…) Pour en tirer le meilleur parti, nous avons décidé de placer un mur de bambou parallèle à la pente, comme la Grande Muraille. Elle représentait autrefois une séparation entre deux cultures, tandis que notre mur de bambou peut aussi unifier la vie et la culture de différentes manières.” (IV)

L’amour du bambou

Kuma Kengo, Great wall bamboo

Dans “L’architecture naturelle” (cf. bibliographie), Kengo Kuma fait remonter son amour du bambou à son enfance, lorsqu’il  jouait dans une forêt de bambous  qui poussait sur une colline escarpée derrière la maison où il vivait. Il aimait la lumière qui filtrait à travers la luxuriance des bambous et la ligne droite et impeccable des tiges, ainsi que le contact frais des tiges. Il aurait voulu créer un espace semblable à cette forêt. Ci-dessus, les bambous s’opposent aux ondulations vertes de la forêt tout autour.

Mais le problème du bambou en construction est qu’il se fend en séchant et qu’il ne peut faire fonction ni de poteau ni de poutre. Il est donc souvent utilisé fendu en architecture d’intérieur au Japon, comme élément décoratif pour recouvrir des murs ou comme pilier d’ornement du tokonoma. Ci-dessous, vue vertigineuse de l’escalier intérieur.

©Kengo_Kuma_Associategreat wall bambou

Le bambou rempli

C’est Katsuo Nakata, son ingénieur en structure, qui lui proposa de couler du béton à l’intérieur du bambou, idée qui lui était venue d’une toute nouvelle technologie en construction le CFT (concrete filled tubes : tubes remplis de béton). Au lieu de couler du béton dans un coffrage de bois à l’intérieur duquel ont été insérée des tiges d’acier ou une armature en fer, le béton est injecté directement dans un tube d’acier. C’est ainsi qu’ils firent le pari du CFB (concrete filled bamboo). Restaient deux problèmes : le diamètre des bambous et les noeuds intermédiaires de la tige. Ils trouvèrent au Japon une variété de bambou géant, le moso (phyllostachis edulis), dont le diamètre peut atteindre 30 cm et ajoutèrent à une perceuse un dispositif particulier  qui leur permit d’évider les tiges du bambou sans les fissurer. Ci-dessous, intérieur, où l’on voit un bambou géant qui a été rempli de béton.

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Les sols de pierre noire constituent le seul contraste visible aux alignements verticaux et horizontaux du bambous tout autour.

La durabilité

Pour éviter le pourrissement des tiges de bambous, plusieurs précautions doivent être prises. premièrement le moment de la taille des bambous. Celle-ci doit s’effectuer au début de l’automne moment où le taux de glucose – à l’origine du pourrissement –  présent dans la sève est le plus bas, contrairement au printemps où il est le plus haut. Ensuite, il est est nécessaire  d’ébouillanter le bambou pour éviter que des micro-organismes subsistent. Un artisan chinois proposa de plonger plonger la tige dans de l’huile pour en assurer la pérennité, ce qui leur conféra une couleur brune particulière. Trouvant que cela lui apportait du cachet, KK accepta. Ci-dessous, splendide jeu de transparence, d’ombre et de lumière à l’intérieur du bâtiment.

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Les bambous employés furent d’origine locale, moins rectilignes que les japonais et plutôt disparates. Pour finir, la maison de bambou en Chine ne ressembla plus à la maison de bambou qu’avait construite Kenge Kuma au Japon préalablement. Mais comme le dit l’architecte lui-même : “Si l’on sème une même graine de radis blanc, celle qui sera plantée dans la terre de Kyoto et aura grandi sous le soleil de Kyoto donnera des radis blancs de Kyoto”. De même, “Loin d’être un produit industriel (transférable et exportable) l’architecture est fondamentalement plus proche du radis. C’est pourquoi elle doit faire corps avec le sol et avec le climat du lieu où on l’implante.” (II)

Les autres matériaux

Outre le bambou utilisé à grande échelle, la maison de vacances, composée d’un sous-sol et d’un étage au-dessus du sol d’une hauteur maximale de 5,83 mètre, possède une couche de fondation en béton armé et une charpente partiellement en acier. La terrasse – comme le sol intérieur – est composée de pierres noires.

kengo kuma, great wall bambou, engawa

 

Redécouvrir la nature grâce à l’ordinateur

Les bâtiments élancés aux courbes plongeantes et aux façades métalliques impressionnantes – qui ont prédominé pendant presque deux décennies – provoquent un certain émerveillement, mais ne favorisent ni l’intimité ni le confort. Kengo Kuma pense, à l’inverse, que les matières naturelles suscitent un sentiment de paix auquel tous les êtres humains aspirent instinctivement.

Paradoxalement, si Kuma a pu abandonner le béton, l’acier et le verre de l’ère industrielle au profit de matériaux plus traditionnels qui donnent sa signature aux projets les plus novateurs et emblématiques de KKAA, c’est uniquement grâce à l’aide de l’ordinateur, symbole majeur de la modernité.

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« Pour être franc, les matériaux naturels présentent une réelle difficulté », reconnaît Kengo Kuma. « Tout est tellement irrégulier. Il n’existe pas deux pièces identiques et il faut sans cesse jongler avec les contraintes de dimensions de chaque matériau. Le défi consiste à assembler toutes ces pièces ensemble pour créer une structure fonctionnelle. C’est là que les ordinateurs démontrent toute leur utilité. Je crois que l’on ne peut plus se passer de l’informatique pour exploiter le potentiel des matériaux naturels. Ils sont trop
variés et trop compliqués à associer autrement ».

« Trouver un équilibre entre solutions techniques et créativité est l’un des plus grands défis de notre secteur. Si nous y parvenons, je crois que l’architecture connaîtra alors une transformation profonde. »

Pour un autre article sur Kengo Kuma voir ici.

Bibliographie

I. Kengo Kuma, le caractère des lieux, Revue AA, hors série/projects, mai 2018

II. L’architecture naturelle, Kengo Kuma, Ed. Arléa, 2020 (EO, 2008)

III. Une vie d’architecte à Tokyo, Kengo Kuma, Ed.Parenthèses, 2021

IV. Kuma, Completes works, Philip Jodidio, Tashen, 2021

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