Tange Kenzo : architecte moderne

Kenzo-Tange-House,1953,©Esto

L’un des plus importants architectes d’après-guerre, Tange Kenzo, fut enseignant, écrivain, architecte et urbaniste. Il  fut vénéré pour son travail et son influence sur les jeunes architectes. Son style, qualifié de “brutalisme lyrique” (1), est axé sur des bâtiments épurés, en béton, le plus souvent brut, puis, dans sa dernière période, revêtus de parois de verre ou de pierre.  Il a construit une vingtaine de gratte-ciel au Japon et remporte, en 1987, le prestigieux prix Pritzker d’architecture. Considéré comme l’homme qui a permis à l’architecture nippone contemporaine d’émerger en comblant le fossé entre l’architecture japonaise traditionnelle et le modernisme. 

Biographie

Né à Sakai le 4 septembre 1913, Tange Kenzo grandira dans la petite ville d’Imabari, où se trouve la maison familiale de ses parents, sur l’île de Shikoku. Bien que devenir architecte ait été au-delà de ses rêves, le travail de Le Corbusier stimule son imagination de sorte qu’en 1935 il devient étudiant au département d’architecture. Il commence sa carrière en travaillant pour Kunio Maekawa, lui-même disciple de Le Corbusier, auquel il empruntera d’ailleurs l’utilisation du béton. En 1946, il devient professeur adjoint à l’université de Tokyo et organise le laboratoire Tange.(2)

Tange Kenzo, portrait

Après la Seconde Guerre mondiale, ses études universitaires en urbanisme le placent dans une position idéale pour gérer des projets de réaménagement pour Tokyo et Skopje. Tange est responsable de la reconstruction d’Hiroshima.  Le Parc de la Paix et le Musée de la bombe atomique à Hiroshima en 1949 ont fait de la ville le symbole de l’aspiration humaine à la paix et le propulsent sur la scène internationale. Sur le plan architectural, le centre de la paix montre une profonde compréhension de la culture traditionnelle tout en étant une avancée dans la recherche d’un style moderne au Japon. Il fonde ensuite le Studio Kenzō Tange qui deviendra, en 1981, Kenzō Tange Associates. Il meurt  à Tokyo le 22 mars 2005,

The Tange House (1953)

La résidence Tange, conçue en 1951, achevée en 1953, est l’une des architectures les plus traditionnelles que l’architecte a conçues. De la façade avant aux matériaux utilisés dans la construction, c’est une véritable maison japonaise. Egalement connue sous le nom de Villa Seijo, c’est la seule maison que l’architecte ait jamais achevée. Nous allons voir que cette habitation réconcilie avec élégance le modernisme occidental avec la tradition japonaise.

Tradition et modernisme

Le rôle de la tradition est celui d’un catalyseur, qui favorise une réaction chimique, mais n’est plus détectable dans le résultat final. La tradition peut, certes, participer à une création, mais elle ne peut plus être elle-même créatrice.” (Tange Kenzo, )

 

Plan libre, pilotis et façade ouverte

Villa Savoye, le Corbusier,

La maison de Tange a clairement été inspirée par la Villa Savoye de Le Corbusier, comme on peut le constater en comparant les deux façades (Hommage deTange à Le Corbusie ?). Il a en effet appliqué certains des principes que l’architecte français avait formulés des années auparavant, tels que les pilotis, le plan libre au sol et la façade ouverte. L’on peut voir ci-dessous les pilotis qui remplacent les murs porteurs pour rendre le sol librement utilisable, piliers  qui s’étendent du premier étage au rez-de-chaussée. Mais le rythme de la façade de Tange Kenzo est plus élaboré.

Tange Kenzo House, de face

 

Rythme de la façade

En effet, la façade est conçue avec un motif rythmique, elle comprend deux types d’espaces qui la fragmentent  : “a” et “b” qui sont ordonnés latéralement dans l’ arrangement a-b-a-a-b-a, identiques au rez-de-chaussée et au premier étage. Au premier  les poteaux marquent le rythme, repris par les cloisons séparant l’intérieur de l’extérieur ;  au rez-de-chaussée, on a une alternance de vides et de pleins, délimités et séparés par trois poteaux qui se prolongent au premier étage.

Tange-House, intérieur extérieur, plan libre, 1953.jpg, Photo© Ezra Stoller/ESTO

Le rez-de-chaussée de la résidence devient un espace ombragé et fluide, à la fois extérieur et intérieur, où les résidents peuvent profiter de la nature et accéder au premier étage par un escalier. En approchant de la maison, la première chose remarquée est l’escalier (ci-dessous), qui est le seul moyen pour accéder à l’intérieur. L’on notera également le rythme du plafond laissé brut. Par ailleurs, l’espace est morcelé en parois qui isolent certains lieux tout en les laissant ouverts.

Kenzo-Tange-House©Esto-1953-interieur:extérieur du rdc.jpg

Bien que le design s’inspire de l’architecture occidentale, il est fusionné avec les techniques traditionnelles japonaises : l’intérieur surélevé, l’utilisation du bois, le toit à deux niveaux, l’engawa. Ci-dessous, vue de profil de la résidence où l’on voit le toit à deux niveaux ainsi que l’engawa qui s’avance sur le devant. L’on notera le quadrillage étudié de la la façade.

Kenzo-Tange-House, 1953-facade de profil ©Esto

Ci-dessous, vue de la maison où l’on devine l’engawa du premier étage.

Kenzo-Tange-House-1953-side-view.jpg

Pour l’intérieur,  l’utilisation des shoji,  et de tatami sont également des caractéristiques de l’architecture japonaise traditionnelle, comme on peut le voir dans les deux illustrations ci-dessous.

Kenzo-Tange-House,1953,© Esto–soji.jpg

L’utilisation de fusuma (parois coulissantes) et de fenêtres en papier (shoji) est une autre caractéristique traditionnelle de l’architecture japonaise, où le papier diffracte la lumière et illumine toute la pièce de manière égale. Bien qu’inspirée de la villa Savoye, la séparation du sol est encore une autre caractéristique traditionnelle qui élève le niveau du sol intérieur, séparant le monde extérieur, qui est impur, de la zone intérieure, qui est propre, avec l’engawa (terrasse)  agissant comme une plate-forme intermédiaire où l’on s’asseyait pour ôter ses chaussures, mais aussi  pour accéder d’une pièce à l’autre. Cependant, comme la maison a été élevée d’un étage, l’engawa perd ici sa fonction d’origine, devenue un balcon qui surplombe le monde extérieur. Ls surface du sol est basée sur le module du tatami, et ses mesures en sont un multiple.

Tange kenzo, The House, 1954

La combinaison de tatami au sol, d’un mobilier sobre agrémenté de coussins (zabuton) notamment, complète l’expérience d’une maison japonaise traditionnelle.

Kenzo-Tange-House, 1953, ©-Esto-jpg

Afin d’avoir de la flexibilité, les plus grandes pièces ont été  conçues pour pouvoir être séparées en trois pièces plus petites par des portes coulissantes, les fusuma, comme on peut le voir  ci dessus, et sur le plan ci-dessous. L’on remarquera que le découpage des tatamis épouse, dans un grand raffinement, le rythme des poteaux, et donc de la façade.

Kenzo-Tange-House, 1953, plan du premier étage.jpg

 

La maison, maintenant démolie, était l’habitation personnelle de l’architecte.

Cathédrale Sainte Marie (1964)

La cathédrale Sainte-Marie a été construite en 1964 à Tokyo  pour remplacer l’ancienne cathédrale en bois, de style gothique, incendiée pendant la guerre.

Cathédrale Sainte Marie -Tokyo-Kenzo-Tange-1964.jpg© Xia Zhi

Tange a conçu la nouvelle église avec une structure en béton, simple dans son concept, mais complexe dans sa forme, qui évoque la légèreté d’un oiseau et de ses ailes.

Cathedrale Sainte Marie,Tokyo,1964,Kenzo-Tange-© Xia Zhi

L’opposition des matières extérieures, métal brillant et structure en béton à la base, est superbe. De même, les formes rectangulaires contrastent avec le caractère incurvé des parois. La réflexion de la lumière du soleil sur le revêtement extérieur en acier inoxydable ressemble à une robe brillante sur les dalles de béton dur. Bien qu’il s’agisse d’un revêtement monochromatique, les courbes et les profils en forme de U renforcent la dynamique de la structure.

Cathedrale-Sainte-Marie-Tokyo-Tange-Kenzo-1964

Plan et structure

L’église peut accueillir en son sein 2600 personnes, dont 600 assises. La structure est composée de huit murs incurvés, parallèles deux à deux, qui forment, vu du dessus, une croix. Cette disposition classique contraste avec la modernité des matériaux de l’édifice, dont le béton précontraint  est recouvert de feuilles d’acier inoxydables, posées sur des cadres en aluminium.

Après avoir expérimenté leur grandeur, tenté d’atteindre le ciel et leurs espaces ineffablement mystiques, j’ai commencé à imaginer de nouveaux espaces et j’ai voulu les créer à l’aide de la technologie moderne.

Les huit murs sont à la fois toit et murs, enfermant l’espace et s’ouvrant vers l’extérieur par des interstices verticaux. Ils sont incurvés de manière hyperbolique pour exprimer la tension vers le ciel et transformer le rez-de-chaussée rhomboïdal en croix sur le toit, comme on le voit sur l’image ci-dessous.

 

Les paraboles s’ouvrent vers le haut pour former une croix de lumière, qui se prolonge verticalement le long des quatre façades. Floor Plan of saint Mary's Cathedral in Tokyo by Kenzo TangeA ce volume rhomboïdal s’ajoutent d’autres constructions secondaires, dont le baptistère et les fonts baptismaux.

Cathedrale Sainte Marie,Tokyo,1964,Kenzo-Tange© Xia Zhi

Le clocher mesure 61,6 m de haut et se dresse à faible distance du corps de logis principal. Le revêtement extérieur est en acier inoxydable.

L’intérieur
St. Mary's Cathedral in Tokyo / Kenzo Tange

Cathedrale Sainte Marie,Tokyo,1964,Kenzo-Tange© Xia Zhi

Cathedrale Sainte Marie,Tokyo,1964,Kenzo-Tange© Xia Zhi

Contrairement à l’extérieur, le matériau présent en majeure partie à l’intérieur, est le béton armé. Celui-ci est banché avec un motif de bois. Les rainures de ce motif sont mises en valeur par la lumière. L’éclairage se faisant au travers de dalles de verres situées au plafond et aux extrémités de la croix, les rayons du soleil viennent effleurer les larges pans de mur qui forment la salle de cérémonie. Symboliquement, la lumière vive venant du dessus pourrait représenter la lumière divine, tandis que la salle, en béton, est plongée dans une certaine obscurité. La position du soleil au cours de la journée donne lieu à des jeux de lumières.

Notes
  1. brutalisme  : le brutalisme est un style architectural issu du modernisme, qui connaît une grande popularité des années 1950 aux années 1970 avant de décliner peu à peu, bien que divers architectes s’inspirent encore des principes de ce courant. Il se distingue notamment par la répétition de certains éléments comme les fenêtres,  par l’absence d’ornements et le caractère brut du béton. Le terme « brutalisme » vient du français « brut ». Le  “béton brut”est le terme employé par Le Corbusier, qui voit dans ce matériau de construction un aspect sauvage, naturel et primitif lorsqu’il est utilisé sans transformation.

    Couvent Ste-Marie de La Tourette, Le Corbusier

    Cette conception marque un tournant dans l’esthétique architecturale de l’après-guerre : pour la première fois, le béton n’y est pas employé comme un matériau précis, lisse, bien enduit, mais est au contraire travaillé en pleine pâte, laissé rugueux et portant les traces des planches de coffrage ; il s’en dégage une plasticité massive et grandiose. Un autre modèle du brutalisme est l’Institut de technologie de l’Illinois que Mies van der Rohe achève à Chicago en 1947.

    S. R. Crown Hall, Illinois Institute of Technology, c. 1956

    Institut technologie Illinois, Mies Van der Rohe

    Avec ses briques, sa façade froide et précise, sa charpente métallique parfaitement assemblée, il offre une tout autre image qui, elle, séduit par son intransigeance. La première construction brutaliste, l’Ecole secondaire de Hunstanton due aux architectes anglais Alison et Peter Smithson, en est très proche : verre et brique claire, ossature métallique en cadres soudés, espaces nets sans aucun enduit ni peinture ; les tubes électriques et les tuyaux sont laissés apparents.

    L’école secondaire Hustanton,(1949-1954).A. et P. Smithson

  2. Ses étudiants incluent Fumihiko Maki, Koji Kamiya, Arata Isozaki, Kisho Kurokawa et Taneo Oki qui furent également des grands noms de l’architecture japonaise.
  3. Trois ans plus tard, en 1954, Kazuo Shinohara construit une maison à Kugayama qui s’inspire clairement du design de Kenzo Tange, bien qu’elle soit construite en acier et ait un rythme de façade plus simple.

    Kazuo Shinohara,kugayam, 1954.jpg

    Si la villa de Tange Kenzo paraît inspirée de celle de Corbusier, il ne faut pas oublier que celui-ci a fortement été influencé par l’architecture japonaise (construction sur pilotis et espace libre)  : “il n’y a pas de murs au Japon !” a-t-il affirmé. dans un certain sens on pourrait parler de japonisme en architecture….

     

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