Le Japonisme (1) : la mode

L’influence de la mode japonaise sur l’occident.

Dès les années 10, de nombreux couturiers comme Mariano Fortuny, Paul Poiret ou encore Jeanne Paquin s’inspirèrent du kimono et de ses motifs pour renouveler leurs créations. En copiant la simplicité et la souplesse du vêtement japonais, ils offrirent aux femmes de l’époque une liberté de mouvement qu’elles adoptèrent avec enthousiasme.

Les couvertures des magazines de mode

Les couvertures reprennent la ligne claire des estampes. Ombrelles, amples manteaux kimonos, motifs floraux stylisés.

Couverture de Vogue

Deux illustrateurs célèbres, Helen Dryden (1887-1981) et Georges Lepape (1887-1971) . La première était une artiste américaine, essentiellement connue pour son travail publié dans « Vogue » dans les années 1910 et 1920.  On notera l’influence de  l’art nouveau et des peintures japonaises. Tout cela contribue à son style immédiatement reconnaissable et qui a conservé tout son charme, même plusieurs décennies après.

japonisme, vogue, 1917,

Lorsque « Condé Nast » a repris la direction de « Vogue », Helen Dryden a été tout de suite contactée par la nouvelle équipe. Ce qui déboucha sur une collaboration qui dura treize ans, de 1909 à 1922. Selon le « New York Times », elle était une des illustratrices les mieux payées de ce début de 20ème siècle aux États-Unis.

Georges Lepape , connu pour sa collaboration avec Paul Poiret, fut un autre illustrateur fameux du début du xx ème siècle. Élève à l’ Académie Humbert, Georges Lepape expose en 1910 au Salon d’Automne où il rencontre le couturier Paul Poiret avec qui il se lie d’amitié. Il illustre pour lui en 1911 ce qui est considéré comme son chef-d’œuvre, Les Choses de Paul Poiret vues par Georges Lepape, imprimé par Maquet. Il participe, dès les premiers numéros, à la Gazette du bon ton à laquelle il contribue avec de splendides planches coloriées au pochoir. Il collabore ensuite aux grands journaux de mode de l’époque : Harper’s Bazaar, Vanity Fair, Femina, Vogue et Les Feuillets d’art.

Vanity_Fair_cover_by_Georges_Lepape_1919

Georges LEPAPE (Paul POIRET) Serais-je en avance ? Manteau de théâtre de Paul Poiret (pl.6, La Gazette du Bon ton, 1912-1913 n°2)

 

Jacques Doucet

Ci dessous, robe dessinée par le styliste de mode Jacques Doucet vers 1897. Si la forme de la robe reste occidentale, la disposition des décorations et  le motif floral (iris) évoque les soies chatoyantes des kimonos traditionnels.

Robe de jour, Jacques Doucet vers 1897

Paul Poiret

Jusqu’à l’apparition de Paul Poiret sur la scène de la mode parisienne, le japonisme dans la mode se limitait aux motifs de style japonais et aux techniques de tissage de la soie, tandis que les vêtements eux-mêmes restaient occidentaux dans la forme. En 1903, Poiret commença à créer des vêtements inspirés par  la coupe, l’apparence et la qualité drapée d’un kimono. Cela a inspiré un nouveau concept de vêtement qui mettait l’accent sur les épaules et non sur la taille et incorporait des manches lâches et des corps croisés dans les robes du soir. Les manteaux du soir ont commencé à envelopper le corps comme des cocons douillets, avec leurs silhouettes amples et leurs coupes droites.

Pré Catelan,Paul Poiret (French, Paris 1879–1944 Paris)|Date- 1918

Paul Poiret était le fils d’un distributeur de textile mais avec l’ambition et la créativité pour devenir un créateur de mode. Un bref emploi pour Jacques Doucet (1853-1929) et la Maison de Valeur (1858-1956) l’a amené à ouvrir sa propre boutique de couture près de la Place de l’Opèra en 1903 à l’âge de 24 ans. Ses deux premiers albums de dessin, “Les Robes de Paul Poiret” dessinés par Paul Iribe (1883-1935) en 1908 et “Les Choses de Paul Poiret” créé par Georges Lepape ( 1887-1971) en 1911, ont non seulement changé le concept du marketing et de l’illustration de la mode, mais ils ont également engagé la transition cruciale des femmes de la silhouette corsetée de l’époque victorienne à la forme naturelle et élégante sans corset de l’ère moderne.  Les drapés se révélèrent ingénieux à l’époque de la confection. Des créateurs pionniers comme Vionnet et Poiret se sont inspirés de la technique de construction à coupe droite du kimono, et dans les années 1920, la mode fut de plus en plus composée de lignes droites réalisées en cousant ensemble des pièces de forme rectangulaire.

Dress by Paul Poiret, 1920s. Photo by Hayashi Masayuki. (© Kyoto Costume Institute)

À partir de cette période, la structure et la forme de la robe ont changé à mesure que les créateurs s’éloignaient de l’obéissance à la forme du corps humain et commençaient à embrasser les possibilités plus larges d’une gamme plus libre de formes. De cette façon, le kimono est allé au-delà l’attrait superficiel de la mode exotique et a impacté la mode dans son ensemble.

Paul Poiret, manteau du soir, 1912

Ce manteau Poiret est un mélange de culture et d’époque : le  kimono japonais pour la forme et un textile qui ressemble à du papier peint victorien.

Mariano Fortuny

À partir des années 1890, Fortuny fait allusion à des thèmes médiévaux, renaissance, japonais et orientaux, utilisant des pochoirs en papier pour teindre le tissu afin de produire des  manteaux et des caftans. Dans ce travail, il a utilisé ce type de textile, en le combinant avec de larges manches de style kimono et des fentes latérales pour créer un manteau en forme de “T”. Un imprimé de feuilles entrelacées d’or et de rose sur le velours vert foncé. Les bordures en velours et la longue cravate ont un motif renaissance de feuilles avec des lions et des oiseaux imprimés en or.

Coat, Mariano Fortuny, Post 1912

Ci-dessous, une magnifique tenue d’intérieur informelle. Le motif “tatewaku” (ligne de sablier) aux motifs papillons et roses trémières a été inspiré d’un tissu japonais. Mariano Fortuny a recherché des modèles de conception de diverses périodes et régions, y compris le Japon. Le textile de ce manteau a presque le même design que celui du velours de soie japonais coupé pour les ceintures de kimono. Ce textile japonais a été décrit par la revue “Le Japon artistique” (vol. 2, 1888) et plus tard par “Étoffes Japonaises” (1910) (Actuellement, le textile de ceinture original est conservé aux arts décoratifs, Paris.) Pour ce manteau, le motif est réalisé par impression au pochoir.
À la fin du XIXe siècle, les Occidentaux ont commencé à porter des kimonos japonais, amples et libérateurs, en guise de déshabillé.

Kimono Coat, Mariano Fortuny, 1910s

 

Ci-dessous, taffetas de soie blanc au pochoir de motifs japonais traditionnels ; ourlet et doublure matelassés en taffetas de soie rose. Le col long et étroit et les manches ainsi que l’ourlet rembourré de type fuki du kimono font ressembler cette robe à un kimono.

Gown, Mariano Fortuny, 1910s

 

 

Jeanne Paquin : les manteaux d’opéra

Jeanne Paquin , manteau d’opéra, 1910, devant

Jeanne Paquin, manteau d’opéra, 1910,arrière

Première couturière à faire la publicité de sa maison de couture en emmenant un tableau de mannequins aux opéras et aux courses, Jeanne Paquin flattait sans cesse l’amour de l’aristocratie pour les matières textiles luxueuses. Ses dessins à la sensibilité orientaliste, faisaient écho à l’œuvre du créateur Paul Poiret et à la théâtralité des costumes de Léon Bakst pour Les Ballets Russes.

Ci-dessous, les pompons roses qui pendent sur les côtés du manteau attirent le regard  permettant de s’attarder assez longtemps pour remarquer la forme entravée alors à la mode. On notera les subtilités de la broderie et des garnitures de perles.

Jeanne Paquin, manteau d’opéra, 1912

 

Jeanne Paquin, manteau d’opéra, 1912,  détail,

La maison Worth

Le japonisme gagne la maison Worth à partir des années 1880, lorsque son fondateur, Charles Frederick Worth (1825-1895), commence à incorporer des motifs évoquant l’esthétique japonaise dans les tissus fabriqués à Lyon pour ses robes du soir victoriennes. Jean-Charles Worth, petit-fils et designer en chef de la maison Worth après la Première Guerre mondiale, a créé ce manteau de soirée en velours de soie corail avec col et poignets en satin de soie crème.

Woman’s evening coat Date- 1910–20

Cet élégant manteau, aux plis en cascade qui tombent de manière ample et asymétrique, est assemblé façon kimono à l’avant et à l’arrière à l’aide de rosaces en velours côtelé. Il aurait été porté par des femmes à la mode lors de soirées mondaines,  les soirées à l’opéra en particulier. Sa coupe presque sans couture montre la transition de la marque vers une ère de design plus simple, dans laquelle les silhouettes inspirées des kimonos donnaient de la liberté aux corps des femmes européennes et américaines, auparavant contraintes par des corsages et des corsets.

La cape ci-dessous s’inspire du travail de la laque japonaise et de ses reflets métalliques. C’est ici le satin de soie orné de motifs  en fils métallisés et le lamé de soie qui reprennent l’aspect précieux de la laque. Carpes japonaises et motifs géométriques de vagues s’entrelacent en fils d’or et d’argent.

Woman’s Cape, Worth , Jean Dunand .

 

La maison Babani

Babani, maison de couture, manteau kimono, vers 1920

Ci dessus, manteau kimono avec un large col rabattu se terminant par deux pans à nouer, larges manches ouvertes, bourrelet en bas. Soie, velours et taffetas, avec un décor floral d’inspiration japonaise. Fabriqué par la maison Babani vers 1920.   Conservé au musée Galiéra, musée de la Mode de la ville de Paris.

Yves Saint Laurent 

En avril 1963, le jeuneYves Saint Laurent découvre la beauté du Japon. A Kyoto, il rencontre des courtisanes habillées en vêtements traditionnels. Préciosité de la soie, exotisme des motifs, rigueur des lignes….

Yves Saint Laurent ,

Les costumes japonais l’inspirent, ainsi que le folklore de l’Asie, il en fera une collection mémorable, celle de l’automne-hiver 1977, hommage à la Chine impériale. Cette même année, il imagine le sulfureux parfum Opium, aux notes orientales et sensuelles qui suscite un vent de scandale à sa sortie. Au fil de ses collections, Yves Saint Laurent n’aura de cesse de s’inspirer de l’Asie lors de ses voyages intérieurs comme il les appelle. Le kimono, les manteaux de souverains indiens…

07-Ensemble-de-soir-collection-haute-couture-1994-©-Musée-Yves-Saint-Laurent-Paris-_-Sophie-Carre

Il aime revisiter les costumes traditonnels pour créer des pièces féminines et élégantes pour sa clientèle parisienne. En automne 2018, le Musée Yves Saint Laurent  à Paris s’intéressait à la fascination du créateur pour l’Orient le temps d’une exposition temporaire, sa première dédiée à cette Asie rêvée. Une cinquantaine de modèles haute couture inspirés de l’Inde, de la Chine et du Japon dialoguait avec des objets d’art asiatiques prêtés par le Musée Guimet et des collectionneurs privés.

Ensemble du soir d’inspiration japonaise , automne-hiver 1994, Musée Yves Saint Laurent Paris

Le défilé printemps-été 2007 de Galliano pour Dior

Dans un décor de branches de cerisiers en fleurs, emblèmes du Japon, se détachent les silhouettes somptueuses imaginées par Galliano pour Dior. Plis et replis, taffetas de soie, broderies et motifs floraux dépeignent la richesse des costumes japonais anciens. La silhouette disparaît sous la splendeur des vêtements, qui mettent en valeur des étoffes toutes plus riches les unes que les autres…

Galliano, Dior, 2007, printemps été

Ci-dessous détails d’un chapeau traversé d’aiguilles comme les chignons des geishas, maquillage aux sourcils noir ébène sur une peau blanche de poupée.

“Raquel Zimmermann at Dior Haute Couture spring:summer 2007. ”

Feuilles de bambous et fleurs de cerisiers en perles ornent le col démesuré de ce manteau ample. Coiffe décorée de multiples bouquets.

Christian Dior (John Galliano) P:E 2007 40 – Mika-San. Mannequin Erin O’Connor.

Coiffe rappelant celle des geishas, éventail déployé et silhouette longiligne tout en doré pâle. On devine un intérieur plus sombre orné de motifs floraux.

Galiano, Christian Dior, printemps été 2007,

Feuilles de gimko dorées sur un fond noir pour une robe de soirée…

Galliano, Dior, printemps été 2007

 

Tom Brown

Une illustration particulièrement intéressante est une collection pour hommes de Tom Brown pour le printemps/été 2016. S’inspirant des traditions artisanales japonaises, il a incorporé de des motifs inspirés du kimono japonais avec fantaisie dans un costume d’affaires qui n’a plus rien de sobre. Notons au passage les chaussures typiquement japonaises!

A men’s suit by Tom Brown for the spring:summer collection 2016. (© Fashion Press)

Christian Louboutin

De même, Christian Louboutin a conçu une paire de bottes pour la collection automne/hiver 2017 en textile luxueux inspiré d’un design textile de kimono de la fin de la période Edo (milieu du XIXe siècle), avec des bambous, des fleurs de prunier et des grues.

Christian Louboutin’s boots, autumn:winter 2017 collection. (© Kyoto Costume Institute)

 

Les tenues japonisantes seront également mises à l’honneur dans la peinture, et ce dès la deuxième moitié du XIX è siècle, mais cela fera l’objet d’un autre article.

Pour voir le défié de Dior printemps-été 2007 sur you tube voir https://www.youtube.com/watch?v=prEPAjwyzIM

Pour un autre article sur le japonisme voir Le japonisme II : les meubles .

Pour un autre article sur la mode  voir Issey Miyake

Un commentaire sur « Le Japonisme (1) : la mode »

Laisser un commentaire