La machiya – terme composé de machi (ville) et ya (maison avec un toit) est une forme d’habitat urbain, celle de l’artisanat et du commerce, présente de longue date au Japon, dès la naissance des villes.
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Historique
Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la majeure partie des bâtiments des villes étaient des machiya, lieux de commerces et d’habitation. Les habitations privées, en effet, n’émergent pas avant la naissance d’un véritable statut de salarié. On trouve une représentation de Kyo-machiya (machiya de Kyoto) dans un rouleau datant de la fin de l’époque Heian (794-1185).
Une autre représentation montre les maisons des commerçants à l’époque Kamakura (1185–1333).
Mitoyenneté
D’ordinaire les bâtiments sont mitoyens. Mais pour résoudre techniquement la question de la mitoyenneté, un propriétaire de terrain construit parfois un bâtiment commun à plusieurs commerces qu’il loue ensuite à des petits négociants. Cependant la plupart des machiya sont indépendantes et une autre solution s’impose, utilisant le doma, (long couloir, voir plus bas) : on construit le bâtiment en fonction de la largeur de ce passage longeant le mur mitoyen. Pour assurer l’étanchéité et pour s’abriter de la pluie, l’une des deux couvertures recouvre largement le solin (point d’étanchéité) de l’autre. Ainsi se règlent par entente les problèmes techniques du voisinage imposés par la densité urbaine.
Accolées les unes aux autres, elles formaient des groupes homogènes d’une quarantaine d’unités familiales appelées chō (bourg). Chaque chō était rattaché à un temple ou à un sanctuaire et regroupait une corporation particulière d’artisans et de marchands. Par exemple, dans l’image ci-dessus, un ensemble de maisons de thé. Aujourd’hui, le quartier Higashi Chaya, à Nagasawa, est un haut lieu touristique mais également un lieu culturel. Le terme Chaya signifie maison de thé. C’est une référence à ces espaces conviviaux où les Geishas, les gardiennes de la culture japonaise, se produisent. On trouve encore de nos jours des maisons de thé à Higashi Chaya, au milieu d’établissements commerciaux.
Autre ensemble de machiya interessant à Kanazawa, Kazue Machi se trouve au nord du parc Kenroku-en, près du fleuve Asano. Tout comme Higashi Chaya, c’est un quartier de maisons de thé qui, depuis l’époque Edo, s’appelait aussi Chaya, également pour ses maisons de thé. Mais il a changé de dénomination pour rendre hommage à Kazue Toda, un clan féodal qui s’était établit dans la région et s’appelle désormais le quartier Kazue Machi.
Ci-dessous, Nichi Chaya à Nagasawa, rue des maisons de thés, quartier des geishas.
Toutes ces constructions en bois étaient bien sûr des proies faciles pour les incendies. Incendies qui ravagèrent souvent l’ancienne capitale, Kyoto, notamment les deux incendies majeurs de 1708 et 1788. C’est la raison pour laquelle on ne trouve guère à Kyoto de machiya d’avant l’ère Meiji (1868-1912). En mai 2017, la ville de Kyoto comptait encore plus de 40 000 de ces résidences en bois construites avant 1950. Les plus célèbres et somptueuses de Kyoto sont Sumiya et Sujimoto, ainsi que d’autres plus modestes qui composaient le quartier de tisserands Nishijin.
Structure
plan
Le plan ci-dessous, est classique et peut s’appliquer à la plupart des machiya. Il s’agit du plan du rez-de-chaussée.
façades
Ces maisons anciennes entièrement en bois, sobres, mais d’une fine élégance présentent le même type de façade : construction de bois sombre ou badigeonnées de bengara (rouge Bengale) étroites en largeur (environ 6 mètres), mais très profondes ( 25 mètres ou plus), sauf pour les plus opulentes maisons de commerce. Ces façades sont à claires-voies démontable (kôshi) au dessus d’un étal ou d’un banc que l’on peut relever. Ci-dessous, détail d’une façade montrant une table pliante. Les battari shôgi (tables pliantes) à droite sur la photo, s’abaissent pour exposer les marchandises, de nombreuses machiya faisant à la fois office de boutiques et de résidences.
Ci-dessous, la même machiya avec une claire-voie itoya et une table pliante battari shôgi (droite). Un espace entre les claires-voies et le plafond laisse passer la lumière du soleil. Les claires-voies sont une caractéristique importante des machiya de Kyoto. Elles sont devenues une mesure de sécurité pendant une période tumultueuse de bouleversements sociaux et de conflits militaires déclenchés par la guerre d’Ônin (1467–1477). On constate une variété considérable dans la disposition et l’épaisseur des claires-voies, souvent un indicateur de la profession du propriétaire de la machiya.
Le choix de claire-voie dépendait en grande partie de l’activité exercée dans la machiya. Pour le textile, que ce soit pour la teinture, le tissage ou la vente, des claires-voies itoya (littéralement « magasin de fils ») étaient fréquentes. Laissant passer la lumière du soleil par la partie supérieure, elles permettaient aux artisans de bien voir les couleurs. Si les marchands de saké eux optaient plutôt pour des claires-voies de type sakaya (qui signifie « point de vente d’alcool »), les commerces de riz choisissaient des claires-voies plus resserrées du nom de komeya (« commerce de riz »). Enfin, un dernier exemple, les shimotaya, avec des bandes de bois plus minces, étaient destinés aux résidents qui avaient « fermé boutique ».
Les claires-voies, outre les fait de dissimuler l’intérieur de la boutique, permettent une belle visibilité vers l’extérieur.
Un auvent protège les bois des intempéries, il couvre le recul de la façade, jusqu’à la verticale, la limite de la parcelle. Sur l’auvent était souvent fixée, à Kyoto surtout, une statuette protectrice de Shôkisama, le légendaire pourfendeur de démons.
Les plus grandes maisons peuvent présenter une belle et grande porte, dans laquelle est découpée une entrée de service plus basse.
mise et doma
On aborde en premier lieu, donnant sur la façade, un magasin, (mise), espace de travail, de vente ou de réception des clients, doté d’une entrée latérale sur le doma. Celui-ci consiste en un long couloir de terre battue (ou empierré) jusqu’au jardin arrière. Ce couloir longe, d’un côté, le mur mitoyen et de l’autre, les pièces habitables, en s’enfonçant vers les parties les plus privées, après un minuscule jardin intérieur. Ce couloir abrite les commodités domestiques de l’eau et du feu : la cuisine (daidokoro). Cette parcelle très allongée est appelée par dérision “lit de l’anguille”. Ci-dessous, jardin arrière ou cour intérieure d’une machiya de Kyoto.
Dans de riches machiya, un vestibule, situé juste après le mise, peut recevoir les invités de marque. Le problème majeur qui se pose à ce vestibule est la difficulté d’éclairage, ce qui explique la présence d’une fenêtre surplombant cette salle, au plafond souvent surélevé.
Derrière la ou les salle(s) de réception de la clientèle s’organise l’espace de la vie quotidienne de la famille, auquel n’accèdent pas les employés – s’il y en a – qui viennent quotidiennement chez leur patrons. A l’extrêmité du terrain se trouvent quelques entrepôts pour stocker des articles variés. Mais dans les maisons de commerce le stockage des marchandises prédomine partout – l’espace ne suffit jamais – et occupe jusqu’au fond le jardin arrière.
la hauteur
Pendant l’époque Edo (1603.1867), la hauteur des machiya en bordure de rue était réglementée, règlement disparu depuis l’ère Meiji (1868-1912). L’étage ne pouvait comporter de fenêtres franches, mais seulement ces mushiko-mado (litt. fenêtre d’insecte), fenêtres à gros barreaux plâtrés très rapprochés, comme on le voit ci-dessous.
Ou encore ci-dessous, dans la machiya créée en à Kyoto pour un magasin de Issey Miyake.
Les constructions les plus anciennes étaient de plein pied, puis, durant l’époque d’Edo, même si les bâtiments comportaient deux niveaux, la hauteur de plafond de l’étage supérieur demeurait très basse comme on peut le constater, puis la hauteur des bâtiments s’est élevée graduellement.
Quelques machiya rénovées
Sugimoto
De toutes les machiya a avoir survécu, Sugimoto est la plus vaste et la plus superbement entretenue. Avec ses paravents, ses fusuma (portes matelassées en papier) l’hiver et ses portes en bambou l’été, son autel bouddhiste laqué en or, elle reflète l’opulence des riches marchands de Kyoto et l’on peut encore y goûter à l’art de vivre de la vieille cité.
La maison fut construite en 1767 par un grossiste en kimonos mais la partie visible aujourd’hui date de 1870. La façade, qui fait la moitié d’un pâté de maisons, est en treillage de Kyoto, avec un bow-window (tout à gauche), un inuyarai (plinthes en lattes de bambou), des mushiko mado (meurtrières en plâtre).
La vue aérienne ci-dessous permet de voir plus de vingts toits en tuiles de hauteur différentes. Les arbres poussent des cours séparant les unités – du magasin où les tissus sont vendus, aux quartiers d’habitation, aux unités de stockage et au sanctuaire ancestral.
Au Japon, un espace de vie ne devient un espace à vivre que lorsqu’on y place un objet fonctionnel, comme un coussin, ou une décoration, comme un tableau », permettant une flexibilité totale une fois que tout est rangé ; ainsi, l’espace attend sans qualification : il est vide. L’ombre est très appréciée pour apporter intimité et ambiance à l’espace. Toute la maison est une illustration du clair-obscur, un hymne à la pénombre.
La structure de la maison est également représentative du vide qui doit régner pour poursuivre les tâches quotidiennes. La toiture est tenue uniquement par des ferrures jointives, faisant du menuisier le véritable architecte de la maison. Au sol, une série de tatamis – des nattes de paille de riz flexibles et compressées avec des bordures de tissu noir – qui agissent non seulement comme des motifs uniques (selon leur agencement) dans chaque pièce, mais aussi comme des unités de mesure de la taille de l’espace.
Les pièces de la maison sont placées les unes à côté des autres, et l’organisation de chacune d’elles par rapport à l’avant, à l’arrière ou à l’un des points cardinaux est significative. Elle peut indiquer le but de la pièce ou l’importance des invités ou des membres de la famille qui l’utilisent. Les espaces les plus sacrés se trouvent au fond de la maison. Une véranda couverte offre une vue méditative sur le jardin soigné rempli de mousses et d’arbres dont les troncs ont été dégagés et le feuillage taillé en transparence.
Iori Nishirokkaku-cho
Située dans une ruelle de Kyoto, Nishirokkaku-cho est une machiya construite vers 1880. Elle présente une façade typique avec un treillage en bois au rez-de-chaussée, qui laisse filtrer l’air et la lumière tout en préservant l’intimité. Vue de l’intérieur ci-dessous.
Les pièces aux sols recouverts de tatamis, comportent des tokonoma (alcôves). Ci-dessous, jeu de lignes sur les fenêtres pour une chambre.
Naramachi Koshino Le
Les machiya sont un lieu préservé de tourisme. On trouve aujourd’hui à Nara plusieurs machiya préservées et parfois ouvertes au public sous forme de petits musées. L’une d’elles, répertoriée sous le nom de « Naramachi Koshino Le “est la réplique d’une maison de ville traditionnelle et l’une des rares qu’il est possible de visiter. Ci-dessous, une vue de l’intérieur qui donne une idée de la profondeur des machiya. On aperçoit dans le fond la cour intérieure.
La même vue plus rapprochée donne une illustration précise du jardin intérieur, ainsi que des différents shoji, les panneaux coulissants qui séparent les différentes pièces et qui créent des cadres dans des cadres.
Ci-dessous, vue sur le jardin composé de mousses, de fougères et d’arbres. Des arrangements savants de pierres de différentes tailles composent un chemin qui sinue dans la mousse et les plantes couvre-sol. Ces pierres servent également de marches pour atteindre le sol de la maison qui est surélevé. Sur le côté un couloir en bois sur pilotis permet le passage d’une pièce à l’autre.
Grande hauteur sous plafond qui permet d’admirer l’ossature en poutres de bois de la maison.
Vue en contre-plongée:
Jeu d’ombres et de lumière à travers les claires-voies…
Tawaraya
Alfred Hitchcock, Léonard Bernstein, Marlon Brando, Rudolph Noureyev, Arthur Miller, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir ont tous en commun d’avoir séjourné à la Tawaraya de Kyoto. Avec ses trois siècles d’histoire, Tawaraya est la perle des ryokan (auberge) traditionnelles. Cette chamiya appartient depuis onze générations à la famille de l’actuel propriétaire, Toshi Okazi Satow, qui veille à la tradition de retenue et de subtilité culturelle.
L’entrée principale est si petite qu’on passe facilement devant sans la remarquer. Appuyées contre la façade, des structures en bambou protègent le bas de la maison de la boue, des coups et des chiens.
Le couloir d’entrée mène au hall d’accueil plongé dans la pénombre.
Un onsen (bain extérieur) qui peut être privatisé promet la détente aux occupants.
Des lanternes en pierre (ishi doro), telles qu’on les trouve dans les temples ornent le jardin au sol de fougères.
Chaque pièce semble un refuge avec avec un grand raffinement du détail et possède son jardin privatif.
Les couloirs fleuris et les chambres (environ 15 mètres carré) donnent tous sur un petit coin privatif de jardin parfaitement entretenu.
Les traditions d’hospitalité et de la cérémonie du thé ont été conservées dans ces dix-huit chambres en plein coeur de la ville moderne.
Iori Nishioshikoji-cho
Construite en 1890, c’est une vaste bâtisse restaurée dans le pur style japonais. Elle présente les caractéristiques de la machiya, telles les mushiko mado (fenêtres d’insecte), la pénombre intérieure.
Une des caractéristiques de la décoration de cette machiya sont les paravents, certains datant de l’ère Edo.
Les shoji (panneaux coulissants) séparent les espaces. Un jardin intérieur apporte de la lumière et de la ventilation à l’espace d’habitation.
Les chambres, ornées de tatami, contiennent un futon où dormir, certaines sont ornées de paravents (byobu).
En guise de conclusion
En se promenant dans les quartiers plus traditionnels de Kyoto, comme le Nishijin ou Gion, on remarquera le langage architectural cohérent des maisons machiya qui bordent les rues. Bien que certaines aient été converties en boutiques et cafés tandis que d’autres ont été transformées en résidences ou en ryokan (auberges), ces anciennes maisons de marchands et d’artisans constituent une référence culturelle importante lorsqu’on considère l’évolution de l’habitat au Japon.
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Un commentaire sur « MACHIYA (町屋) : la maison urbaine »