Dans les années 50 et 60, Fan Ho photographie les ruelles de Hong Kong. Composition et beauté des lumières caractérisent cet humaniste de la “street photography”.
Biographie
Fan Ho ( chinois: 何藩 ; pinyin : ) est né le 8 octobre 1931 à Shanghai et mort le 19 juin 2016 à San José en Californie. Ses parents émigrent à Hong Kong en 1949. Ho commence à photographier très jeune avec un Kodak Brownie que son père lui offre à l’âge de 14 ans, puis avec un Rolleiflex qu’il s’achètera à dix huit ans. Rapidement, il réunit un important corpus photographique sur Hong Kong dans les années 1950 et 1960 alors que la ville se transforme et devient une importante métropole. Il travaille comme acteur dans les années 60 jusqu’au début des années 70, avant de passer derrière la caméra et de réaliser plusieurs films, le plus souvent érotiques. Vivant en Californie depuis 1995, Fan Ho meurt le à San José, à 84 ans, des suites d’une pneumonie.
Ombres et lumières
Ce qui frappe d’emblée dans les photos en noir et blanc de Fan Ho ce sont les lumières, le passage d’une clarté diffuse en dégradé subtil de gris aux noirs les plus profonds.
L’on pense inévitablement à l’ouvrage du japonais Tanizaki, Eloge de l’ombre. “Nous autres orientaux, créons de la beauté en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-même insignifiants.(…) Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombre, un jeu de clair-obscur, produit par la juxtaposition de substances diverses.”
La composition
Le premier procédé de composition est le jeu sur les ombres et la lumière : un entourage noir focalise l’attention du spectateur sur un espace éclairé qui met en valeur le sujet de la composition. On retrouve ce procédé dans de nombreuses photos.
Géométrie
Soigneusement composées, certaines images exploitent la géométrie des formes, la répétition des motifs, comme la photo ci-dessous, intitulée “quatre” qui met en scène quatre silhouettes, quatre ombres et quatre poteaux.
Dans cette photographie à la composition particulièrement réussie, le rai de lumière épouse les lignes architecturales.
Le cadrage
La photographie ci-dessus est intéressante. Des affiches, ou des formes dessinées blanches recouvrent un mur sombre ; l’une d’entre elle cadre précisément le personnage qui passe. Le motif mime ce que fait le photographe à chaque prise de vue : un cadrage. On a une mise en abyme du travail du photographe qui, par son cadrage, choisit d’isoler une scène.
Symétrie et répétition des motifs pour la photographie ci-dessous.
Les deux dernières photographies ci-dessus, formellement réussies, sont cependant plus froides, et paraissent presque posées, voire fabriquées. Elles sont esthétiques, mais on s’interroge sur leur discours. Que racontent-elles ? Le cadrage frontal, assez éloigné, ainsi que l’immobilité des personnages tiennent le spectateur à distance.
La photographie de rue
A quoi ressemblait Hong Kong avant de se transformer en un champ de gratte-ciels vertigineux ? Dans les années 50-60, la ville avait un tout autre visage, composée de nombreuses maisons miteuses et de petites rues, avec une population chinoise très pauvre. Les appartements étant souvent minuscules, la vie se passait dans les rues, aux yeux de tout le monde. Fan Ho, à l’époque âgé d’une vingtaine d’années, se promenait déjà dans les rues avec son appareil photo Rolleiflex pour capturer l’ambiance spéciale qui y régnait.
Ce qui a rendu son travail si intensément humain, c’est son attention pour le peuple de Hong Kong.
Coolies, vendeurs, colporteurs vendant des fruits et légumes, gens qui traversent la rue…
Il n’a jamais eu l’intention de créer un historique des bâtiments et des monuments de la ville ; humaniste, il visait plutôt à capturer l’âme de Hong Kong, les difficultés de ses citoyens. Il aime photographier les enfants jouant dans la rue, faisant leurs devoirs, mangeant les pieds nus assis par terre…parfois laissés livrés à eux-même où accompagnant les adultes dans leur travail, ou encore plongés dans leur propre monde comme ci-dessous.
Echanges de regards et de gestes emprunts de compassion dans la poignante photographie ci-dessous. Les expressions et les gestes composent un espace centrifuge et centripète : la mère et le bébé nu regardent un hors champ qui semble les inquiéter, alors que les deux garçonnets à droite, liés par le regard et la main, semblent veiller les uns sur les autres.
Le regard documentaire des deux photos ci-dessus et ci-dessous rappelle celui de Dorothea Lange dans années 35 à 41 aux Etats-Unis.
Quelques plans rapprochés immobilisent nuques maussades et expressions graves…
…visages tendus et préoccupés…
La ville
Cependant la ville apparaît comme telle dans certaines photographies. Par exemple, ci-dessous, une avenue centrale divise la photo en deux : à gauche horizontales des graphies occidentales sur un bâtiment récent ; à droite, alignement vertical de caractères chinois sur des maisons plus anciennes.
Une méthode
Dans un article du South China Morning Post, Fan Ho explique que pour lui la patience est un élément important. Lorsqu’il voit un endroit avec une belle composition et une bonne lumière, il attendait simplement que son sujet apparaisse pour prendre la photo.
Surnommé le “Cartier-Bresson de l’Est”, Fan Ho a patiemment attendu “le moment décisif” ; une irruption de l’inattendu dans un plan composé très habilement, souvent une construction géométrique. Il obtient une atmosphère dramatique avec des effets rétro-éclairés, par la combinaison de la fumée et de la lumière, par de longues ombres crépusculaires qui s’allongent sur le sol.
C’est d’ailleurs un procédé qui se vérifie souvent en street photography.
Le procédé décrit ci-dessus se vérifie particulièrement avec la confrontation des deux photos ci-dessous.
Le passage à la couleur
Ho a commencé dès le milieu des années 1950 à photographier en couleur, bien avant que le format soit largement accepté.
Aussi prolifique que talentueux, il a créé une grande partie de son travail le plus remarquable avant l’âge de 30 ans. Au cours de sa carrière photographique, il a remporté près de 300 concours et titres, et aujourd’hui son travail est conservé dans des collections temporaires et permanentes à travers le monde, notamment celle du Musée d’Art Moderne de San Francisco et celle de la Bibliothèque Nationale de France.
Publications
La dernière publication de Fan Ho, “La photographie. Ma passion. Ma vie.“, regroupe le meilleur de son travail, entremêlant des œuvres de renommée internationale avec d’autres qui n’avaient pas encore été publiées. Le livre contient un essai, “My Quest“, écrit par Fan Ho lui-même dans les années 70, expliquant sa pratique et son parcours stylistique alors qu’il était influencé par différents mouvements de la photographie. À travers son essai, nous découvrons ses conceptions de l’esthétique, de la poésie, de la philosophie. Selon sa famille, “Fan Ho aura toujours une place spéciale dans nos cœurs, et nous nous sentons plus près de lui à travers l’héritage durable de son travail. Nous savons que nous continuerons à découvrir quelque chose de rafraîchissant chaque fois que nous regarderons ses images inoubliables, qu’elles soient des représentations d’une époque révolue ou de l’endurance de l’esprit humain.
- The Living Theatre, Modernbook Editions ; 2e édition (2008) 176 pages (ISBN 978-0980104431)
- Hong Kong Yesterday, Modernbook Editions ; 3e édition (2012) 112 pages. (ISBN 978-0977882830)
- A Hong Kong Memory, (2014) (ISBN 978-0990871200)
- Lights and Shadows, (2015) (ISBN 978-0010050493)
Notes
Pour plus de photographies de Fan Ho voir le site https://fanho-forgetmenot.com
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